Grincements et autres bruits : Cacophonie conjugale
Grincements et autres bruits: une 100e production pour le Théâtre du Trillium, et un casse-tête scénique inégalé pour sa nouvelle directrice artistique qui en assure la mise en scène, Anne-Marie White.
Michel Tanner, directeur de la Fabrique de théâtre de Mons en Belgique, avait été pressenti pour ouvrir la saison du Théâtre du Trillium avec la reprise de Grincements et autres bruits de Paul Emond – qu’il avait montée en 1998. Une chose menant à une autre avec les complications d’horaire et de voyagement, la directrice artistique d’alors, Sylvie Dufour, offrait la mise en scène à Anne-Marie White, directrice du Théâtre de la Cabane bleue récompensée pour son spectacle Écume en 2007. Entre-temps, Sylvie Dufour a traversé la rivière vers d’autres destinées et Anne-Marie White a repris le flambeau de la compagnie théâtrale ottavienne. Une production anniversaire – la 100e – venait couronner le tout!
Jointe au téléphone, la metteure en scène se remémore avec hilarité la première lecture qu’elle a faite du texte. "J’ai trouvé les répliques des personnages tellement insignifiantes! Je me suis vraiment emmerdée comme jamais à lire un texte. Et ça m’a fascinée parce que je me suis dit: "Ce n’est pas possible qu’un auteur écrive des insignifiances juste pour être insignifiant." Je me suis dit que la signification ressortait forcément de là."
Qualifiée par l’auteur d’"extrême quotidien", la pièce se concentre principalement sur les revers de la vie de couple avec tout ce qu’elle peut comprendre de règlements de comptes, de doutes, de moqueries, de ruptures, d’indifférence… "C’est tellement verbeux, c’est pas croyable! Les personnages sont toujours à vif et l’amoncellement de tout ça devient ridicule."
Anne-Marie White admet sans sourciller que jamais plus grand défi de mise en scène ne s’était présenté à elle auparavant. "Comment mettre en scène des personnages qui parlent dans le vide, qui n’ont pas de réelle communication alors que la base même du théâtre est la communication?" n’est qu’une des nombreuses questions soulevées en processus de création. "C’est tellement quotidien à outrance que ça devient complètement absurde. J’ai essayé de travailler toujours sur la ligne fine entre le réalisme et le côté légèrement étrange des personnages. Un peu comme un Ionesco: on ne peut pas monter ça de façon réaliste, mais on s’y reconnaît quand même parce que c’est profondément humain."
Quatre comédiens – Marc-André Charette, Sasha Dominique, Jean-Michel Le Gal et Maxine Turcotte – pataugent dans cette orgie de mots sans queue ni tête qu’elle a qualifiée de "texte couleuvre". "C’est le texte le plus difficile que j’aie eu à "attraper". En répétition, chaque fois qu’on avait l’impression d’avoir mis le doigt dessus, il nous coulait entre les doigts. C’était gluant jusqu’à ce qu’on accepte que ça n’a pas de sens. On a commencé à en rire."
La metteure en scène qui se plaît à explorer le langage corporel dans son approche théâtrale a cru nécessaire d’engager les comédiens dans des improvisations muettes avant d’aborder le texte. "Je me suis dit que si on présentait le texte aux spectateurs comme étant le plein, ça ne fonctionnerait pas puisque cette substance est vide, alors j’ai travaillé un plein en dessous de cela. On a donc travaillé pour établir une situation corporelle précise. La violence du vide apparaît alors plus clairement", note Anne-Marie White qui a exploité l’étrangeté et la brutalité du texte notamment dans une scénographie éclatée comprenant des mannequins violentés.
À voir si vous aimez / le théâtre de Ionesco, les télé-réalités verbeuses