La Peste : Le mal court
Après avoir deux fois revisité Marcel Dubé, les Productions Kléos nous offrent une bien maladroite adaptation de La Peste, d’Albert Camus.
Durant les années 90, le comédien Francis Huster a trimballé aux quatre coins de l’Hexagone son adaptation de La Peste, célèbre roman d’Albert Camus. C’est précisément ce texte qui a décidé le metteur en scène Mario Borges à se lancer dans sa propre adaptation de l’oeuvre. Malheureusement, plutôt que d’en faire un solo, comme l’avait fait Huster, Borges en a fait une partition erratique pour cinq acteurs et un écran vidéo.
Au sortir du spectacle, on se dit que le créateur a eu tort. Pour ancrer le roman "dans l’action et l’interaction", comme il déclarait à mon collègue Philippe Couture vouloir le faire, il ne suffisait pas de multiplier les scènes de groupe. Le point de vue d’un homme sur une terrible tragédie, un homme seul au milieu de la souffrance, de la fureur et de la fatalité, voilà ce qu’est le roman de Camus. Le docteur Rieux, alter ego de l’auteur, est un témoin, c’est par ses yeux qu’il nous faut voir les malheurs qui accablent les habitants d’Oran, petite commune française d’Algérie.
Au contact de l’épidémie, Rieux en apprend plus que durant toute sa vie sur la nature profonde de l’homme, sur sa propension innée à faire le mal autour de lui, à semer, comme la peste, la guerre, la mort, la maladie, la pauvreté, la violence et les désastres écologiques. Et, malgré tout, il persiste à croire que l’homme est fondamentalement bon. "Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser", dit-il. À cette foi, à ce devoir de mémoire, le spectacle sentencieux et scolaire de Borges ne rend pas justice. Les scènes sont étrangement agencées, les images projetées sont mièvres ou alors terriblement plaquées. Et que dire de la musique, exagérément grave, façon maison hantée, en plus d’être redondante.
Jusqu’à la fin, les relations entre les personnages nous apparaissent inconsistantes. Si Jean-Marie Moncelet et Joachim Tanguay trouvent généralement le ton juste, Marie Codebecq, Sylvain Massé et même Renaud Paradis, dans le rôle principal, en font beaucoup trop. Quant à Stéphane Jacques, le curé qui nous apparaît par le truchement de la vidéo, il arrive au moins à nous faire sourire. Autrement dit, passez votre chemin. Plongez-vous plutôt dans le roman de Camus, lisez Unity, mil neuf cent dix-huit, la pièce de Kevin Kerr, ou alors louez le film de Luis Puenzo.