Pierre-Antoine Lafon Simard : Poète à deux faces
Pierre-Antoine Lafon Simard dirige Le Deuil profond de la nuit, où Edgar Allan Poe et Charles Baudelaire deviennent les deux faces d’un personnage fictif. Traduction simultanée.
L’idée du Deuil profond de la nuit est née il y a deux ans, alors que Pierre Antoine Lafon Simard et Guillaume Perreault (texte, interprétation) fréquentaient le Conservatoire. Par hasard, ils avaient remarqué une similitude entre des photos de Poe et de Baudelaire. "En rigolant, on s’est pris à imaginer: "Et s’ils étaient une seule personne, une espèce de nègre d’écriture inconnu?" relate le metteur en scène. Puis, on s’est rendu compte que les connexions entre leurs écrits étaient vraiment étonnantes. C’est sûr qu’il y a des pistes réelles dans tout ça, par exemple, le fait que Baudelaire ait traduit Poe. En même temps, on voulait se servir de cette matière pour créer une oeuvre totalement fictionnelle afin de dire autre chose sur ces poètes." Ainsi ont-ils élaboré l’histoire d’une femme qui, en les hypnotisant, découvre l’existence d’un personnage sous-jacent. "On a tissé une trame narrative à partir des moments marquants de leurs vies, en combinant leurs textes, en en rajoutant, en peaufinant tout ça pour créer Robert Sanscrit, qui sera interprété par deux acteurs à la fois, explique-t-il. Alors, on joue beaucoup sur cet effet de dualité, sur le fait que ces auteurs ont eu une vie presque commune malgré les années qui les séparaient et leurs nationalités différentes." Autrement dit, cet être fictif incarne en quelque sorte leur côté poète maudit, ce qui n’est pas sans donner le ton à l’ensemble. "C’est un spectacle très poignant par moments, parce qu’on parle de mort, de maladie, d’alcoolisme, mais aussi, qui fait rire et devient parfois d’une étrangeté presque morbide", résume-t-il.
Certains en ont d’ailleurs déjà eu un aperçu, puisqu’au cours de leur résidence d’un an à Premier Acte, la pièce a fait l’objet d’un laboratoire à l’occasion des Chantiers du Carrefour et d’une lecture publique. "Un des défis était de trouver un moyen scénique de passer, en moins d’une heure et demie, de la lune à l’enfance, à la mort, au théâtre, aux mariages de Poe et de Baudelaire, parce qu’on voyage partout, note-t-il. Finalement, on travaille dans un espace vide; avec trois chaises, on évoque tous les lieux. Ensuite, on se sert de la vidéo pour créer des atmosphères; ce sont des images qui se fondent les unes dans les autres afin d’apporter l’aspect pictural et texturé de la poésie sur scène. Aussi, on a voulu trouver des échos avec nos référents actuels, que ce soit musicaux ou esthétiques, de manière à montrer à quel point ça résonne encore, à quel point le statut de l’artiste n’a pas vraiment changé. Quant à la direction des acteurs, elle visait à ce que ce soit carnavalesque et invitant pour ne pas noyer le spectateur dans cette poésie qui peut paraître aride à ceux qui n’y sont pas habitués. En fait, le plus grand défi était de désintellectualiser le spectacle, l’objectif étant que les gens en sortent avec une impression de beauté troublante, de questionnement." Bref, nul besoin de connaître la littérature pour apprécier.