Caribou : L'homme est un caribou pour l'homme
Scène

Caribou : L’homme est un caribou pour l’homme

Dans Caribou, les Turcs gobeurs d’opium se salissent les mains et nous en mettent plein la gueule. Chasse et télé communautaire n’ont jamais fait si bon ménage.

Malgré son emballage sanguinolent, le contenu de la nouvelle création des Turcs gobeurs d’opium est d’un grand raffinement. La viande est crue, mais grâce à sa fraîcheur, c’est un succulent tartare que nous sert cette compagnie théâtrale sherbrookoise. Un tartare de Caribou.

Au cours de la pièce, le personnage d’Antoinette Gagnon (interprété de façon magistrale par Jacinthe C. Tremblay) donne plusieurs indices des assises philosophiques du texte d’André Gélineau. "La cible n’est qu’une illusion", répétera Antoinette lors d’un de ses nombreux délires au vitriol. Serions-nous en plein questionnement existentialiste à la Jean-Paul Sartre? C’est ce qu’on est porté à croire. De plus, cette production s’avère une brillante – quoique troublante – matérialisation d’une phrase chérie des philosophes: "L’homme est un loup pour l’homme."

Caribou constitue également un solide objet théâtral grâce à l’ingénieuse mise en scène de Gélineau. Tout au long de la pièce, les transitions se font rondement entre le récit des braconniers (des alcooliques désadaptés se terrant au fond des bois) et celui des chasseurs (des adeptes de la télé communautaire animés par une soif de vengeance) grâce à des jeux d’éclairages et à l’intervention des "têtes empaillées". C’est d’ailleurs avec véhémence et symbiose que ce trio proclame d’étonnantes répliques empreintes de poésie.

L’essence de chacun des personnages fut bien saisie par l’équipe de comédiens; on n’assiste à aucune contre-performance. Marianne Roy est solide et castratrice dans son interprétation de Sandraline, Alexandre Leclerc nous livre un inquiétant Bobby-Ben, Simon Vincent est convaincant dans son rôle du balourd Goldorak et Véronique Laroche joue la troublante Mouche avec brio. Quant à Luc Jolicoeur, il utilise le non-verbal de manière éloquente pour incarner Joyal Jiona, le maire-curé du village de Sainte-Johanne-des-Calvettes.

Après Bazooka et kETchup (les deux dernières productions des Turcs), Caribou vient non seulement conclure en beauté une trilogie de création, mais élève la barre de plusieurs crans. La partie de chasse est une réussite; les victuailles sont nombreuses. Régalons-nous.