Du ciment sur les ailes : Tester ses limites
Scène

Du ciment sur les ailes : Tester ses limites

Jean-François Lessard, directeur artistique d’Entr’actes, nous parle de la création Du ciment sur les ailes. Quand le rêve se mesure au handicap.

Depuis 1994, Entr’actes offre des ateliers publics de création aux personnes vivant avec un handicap ainsi qu’à tous les intéressés. Mais attention, il s’agit d’art, non de thérapie. "On avait le goût d’aller plus loin avec Olivier [de la Durantaye] et Jean-Simon [Cantin]; on avait cette idée d’une production professionnelle, relate le metteur en scène Jean-François Lessard. Aussi, dans la plupart des spectacles, on les amenait ailleurs; ils ont joué des gangsters, des rois, etc. C’est l’fun et ça permet aux gens de réaliser que des personnes vivant avec une déficience intellectuelle peuvent apprendre du texte, avoir de l’humour et exprimer des émotions. Mais on ne parlait pas beaucoup d’eux et, là, je pensais qu’il faudrait le faire." Il a donc demandé à Serge Bonin d’écrire un texte à partir d’improvisations réalisées par les deux jeunes d’Entr’actes avec les comédiens Sophie Martin et Nicolas Létourneau. "Je leur ai dit: "Il n’y a pas de tabous, je veux que vous parliez de vous-mêmes, de vos limitations." Dans ce cas, le mot prenait un sens plus large parce qu’il s’appliquait aussi à Sophie et à Nicolas; on a tous nos limitations et nos malaises devant quelqu’un qui est handicapé, poursuit-il. Il s’agit d’un spectacle très personnel, d’un témoignage de leur rencontre."

En 2006, cette création a fait l’objet d’une lecture publique sous le titre Terrains de jeux. "Le côté patchwork est resté, mais on sent un peu plus la progression entre les saynètes. Pour ce faire, Serge s’est inspiré du principe de la pyramide de Maslow, la pyramide des besoins: désirs de reconnaissance, de gloire, de sexualité et, en bout de ligne, de se reproduire. Donc, Du ciment sur les ailes pose la question: à quels rêves ont-ils droit? Et eux démontrent un très grand courage en acceptant d’en parler." Le metteur en scène observe par ailleurs que ces revendications, allant de la volonté de vivre en appartement à celle d’avoir un enfant, nous amènent à nous demander ce que nous ferions à la place du personnage interpellé. Des situations délicates, qui se voient toutefois entrecoupées de passages plus légers. "Au début, on s’est demandé: "Pourquoi ont-ils improvisé des infopubs?" En grattant un peu, on s’est dit que c’était un regard critique sur ces belles solutions faciles qu’on nous offre, alors qu’il n’y en a pas de recette miracle quand tu es trisomique", explique Jean-François Lessard. Quant au premier titre, il s’est rendu compte qu’il s’agissait davantage de celui de sa mise en scène. "Sur scène, il y a une autre scène, un podium. Donc, la scène est un terrain de jeu, dans le sens où on voit les comédiens bâtir et débâtir des univers, se changer, s’aider, etc." Là, un arbre tente de s’élever au milieu de la grisaille, histoire d’exprimer le contraste entre des réalités arides et la possibilité de s’en échapper par le théâtre. "On a du ciment sur les ailes, mais on peut s’envoler un peu pareil", conclut-il.