Daniel Danis : Un zoo la nuit
Daniel Danis, le dramaturge, donne également dans la mise en scène. Avec Kiwi, il nous propose un théâtre-film capté et monté en temps réel. Vision nocturne.
Kiwi vient de valoir à Daniel Danis le prix Louise-LaHaye pour la relève en écriture dramatique jeune public. Cette pièce, datant de 1996, lui a été inspirée par une coupure de journal. "En 1993-1994, les enfants abandonnés dans les rues de Bucarest étaient un sujet récurrent", relate l’auteur de Terre océane, qu’on a pu voir au Trident en janvier. "J’ai gardé une petite photo d’enfants qui peuplaient les anciennes prisons parce que les Roumains ne savaient pas quoi faire avec eux et j’ai recoupé ça avec d’autres événements, comme des enfants qui ont été tués à Bogota dans une rafle de la junte militaire pour se débarrasser des jeunes des rues." De là sont nées les aventures d’une orpheline se joignant à un groupe de sans-abri, tandis que les autorités municipales cherchent à nettoyer la ville en vue des Jeux olympiques. "J’ai écrit Kiwi après Le Chant du dire-dire, alors j’étais encore sous l’influence d’une écriture de récit. C’est porté par deux personnages qui racontent une histoire; ils sont ensemble, mais pas forcément en train de se parler, observe-t-il. Pour moi, la question de l’orphelin, ce n’est jamais sur les vrais orphelins, c’est plutôt de se demander: "Quand on ne se rattache ni au père ni à la mère, que sommes-nous? Que cherchons-nous à être sur terre?" C’est une question anthropologique qui m’anime beaucoup dans mes textes."
Cela dit, Kiwi serait peut-être demeuré au fond d’un tiroir n’eût été d’un atelier de création avec Benoît Dervaux, le chef opérateur des frères Dardenne, cinéaste et documentariste s’étant lui-même rendu en Roumanie. Ils ont ensemble jeté les bases du concept du spectacle, c’est-à-dire la projection d’images des acteurs filmés par une caméra vision de nuit et d’images documentaires, montées en temps réel, sur une musique interprétée en direct. "Je n’étais pas certain que Le Langue-à-langue des chiens de roche allait avec cet appareillage-là, se rappelle-t-il. Un jour, je me suis souvenu que j’avais dans mes carnets Kiwi, qui fonctionnait très bien avec l’idée de petites bêtes qu’on traque la nuit avec une caméra night shot pour faire une émission animalière. Car les jeunes des rues à Mexico et partout ailleurs ne vivent jamais le jour; ils sortent la nuit parce que c’est là qu’ils peuvent aller fouiller dans les poubelles, faire des coups. Donc, l’adéquation s’est faite entre la technique et le sujet." Outre le travail d’horloger que nécessite une telle approche, celle-ci représente également un défi pour les comédiens. "Ce sur quoi j’ai toujours travaillé, c’est qu’eux, quand ils nous racontent où ils sont et ce qu’ils font, ils doivent absolument le voir dans leur esprit; s’ils ne font que dire du texte, ça paraît. L’image ne peut pas rendre compte de l’endroit où ils sont, elle nous donne une atmosphère, mais c’est leur dire qui devient cinématographique", remarque-t-il. Bref, une oeuvre singulière, qu’on se tarde de découvrir en première québécoise, après un passage remarqué au festival Off d’Avignon.