Éric Jean / Catherine Léger : Folie des années folles
Scène

Éric Jean / Catherine Léger : Folie des années folles

La saison du Théâtre de Quat’Sous débute avec Opium_37, une pièce librement inspirée du journal d’Anaïs Nin et teintée de l’effervescence des années folles. Rencontre avec l’auteure Catherine Léger et le metteur en scène Éric Jean.

Quand est venu le temps de songer à un spectacle d’ouverture pour le nouveau Théâtre de Quat’Sous (on sait maintenant que l’ouverture des nouveaux espaces est reportée à cause de délais administratifs), Éric Jean a tout de suite songé à Opium_37, une pièce à tableaux dont il a mis en scène une première mouture à l’École nationale de théâtre en 2002. Non seulement ce texte lui permettait-il de faire entendre la parole d’une jeune auteure, mais il imposait, avec ses 10 personnages, une grosse distribution. Entre autres, Yann Perreau y fera ses premières armes au théâtre dans le rôle d’un androgyne torturé, Normand Daneau jouera l’artiste parano, Kathleen Fortin, la serveuse enragée du café du coin et Muriel Dutil, une dame pipi prophétesse.

Quoi de mieux, en effet, qu’un spectacle au caractère festif, porté par les effluves nostalgiques de l’entre-deux-guerres et ses délicieux excès pour inaugurer cette saison de renouveau? Catherine Léger, finissante du programme d’écriture dramatique de l’École nationale en 2005, s’y est replongée avec joie. "Même avant l’École, j’avais beaucoup lu Anaïs Nin, et en retravaillant le spectacle, j’ai l’impression d’être allée au bout d’une réflexion amorcée il y a longtemps sur l’importance de ce personnage féminin, sur les tabous qu’elle a bousculés."

Cette fois, pas d’écriture scénique à partir d’improvisations comme Jean le fait très souvent, mais le texte a fait l’objet d’un dialogue abondant entre l’auteure et le metteur en scène. Cela dit, ne nous méprenons pas, Opium_37 n’est pas du tout une transposition scénique de la vie de la célèbre écrivaine (interprétée par Évelyne Rompré). La démarche d’écriture s’ancre plutôt dans une certaine nostalgie, extirpe des impressions et des idées du journal d’Anaïs Nin et des écrits de Henry Miller pour créer une oeuvre nouvelle, sorte de point de vue décalé sur les années folles et leurs grands personnages. Antonin Artaud (Daniel Thomas) et June Miller (Ève Gadouas) sont du lot, ainsi qu’un psychanalyste nommé René (Éric Paulhus), un avatar de René Allendy, l’un des fondateurs de la Société psychanalytique de Paris.

De la même manière, la mise en scène de Jean, en partie axée sur la composition de figures de groupe et l’importance du sentiment de collectivité, puise son inspiration dans les photographies de Georges Brassaï. "Dans ses photos, rappelle Éric Jean, même si l’accent est mis sur une ou deux personnes, il y a toujours tout un monde en arrière-plan, on sent bien l’histoire de chacun des personnages derrière. Je travaille un peu dans cet esprit-là, je voulais qu’il y ait toujours la présence d’une masse de monde, parce que j’ai l’impression que c’était une époque de collectivisme fort." Voilà aussi pourquoi la musique et la fête bercent le spectacle: plusieurs acteurs sont aussi musiciens et feront résonner leurs clarinette, accordéon, piano et contrebasse.

Mais pourquoi cette fascination pour la vie parisienne de 1937? "C’est une période de transformations, l’histoire est en train de changer, explique Léger. J’ai le sentiment que les gens avaient une sorte de pouvoir, ils n’étaient pas complètement à la merci d’un système établi et pouvaient faire changer les choses. Aujourd’hui, on se targue de vivre dans un monde libre, mais le moule à suivre, les conventions sociales sont tellement forts que notre liberté me semble une belle illusion." Opinant de la tête, le metteur en scène ajoute que l’art n’échappe pas non plus à ce conformisme ambiant, "que l’intérêt de cette période de l’histoire se trouve aussi dans la place importante occupée par les artistes et les intellectuels, et leur réelle réinvention de la parole et de l’art". Voilà qui est dit.