Joël Pommerat : Secrets de famille
Scène

Joël Pommerat : Secrets de famille

Le Français Joël Pommerat, dont on vient tout juste de voir Le Petit Chaperon rouge à l’occasion des Coups de Théâtre, nous parle de Cet enfant, un spectacle qui ratisse le territoire explosif de la famille.

L’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat a écrit Cet enfant en 2002 à partir du témoignage de plusieurs femmes, vivant toutes dans une cité en Normandie. "C’était une commande de la Caisse d’allocations familiales du Calvados, explique l’auteur au bout du fil, un organisme qui avait l’envie, le désir de mêler l’art et l’action sociale. Je dois dire que c’était la première fois qu’on me faisait ce genre de proposition. Au départ, j’étais réticent, prudent et méfiant. Puis les gens m’ont paru très intelligents, très attentifs et soucieux que la question artistique reste indépendante des préoccupations sociales."

C’est ainsi que le créateur s’est lancé dans l’élaboration d’un spectacle qui offre encore, six ans après sa création, des réponses crues mais lucides à la question: "Qu’est-ce que ça signifie d’être parent aujourd’hui?" "Ce spectacle est assez particulier dans mon parcours, précise Pommerat. Je n’écris pas toujours de cette façon-là. C’est du théâtre très simple, très sommaire, avec un aspect quasiment documentaire. C’est-à-dire quelque chose qui s’efforce simplement de rendre compte d’un type de relation. Même si j’ai poussé ça un peu dans des extrémités, ce n’est presque pas fictionnel, c’est très conflictuel et très réel. Normalement, je fais des pièces qui sont plus épiques, moins simples à cerner d’un premier regard. Dans Cet enfant, il n’y a rien d’autre à aller chercher que ce qui est dit. En même temps, ce n’est pas un documentaire télévisuel. J’ai l’ambition de faire un travail d’écrivain, d’auteur, malgré tout, et donc de mettre ça dans une forme littéraire qui soit appropriée au théâtre."

RIRES JAUNES

Le spectacle offre une suite de courtes scènes drôlement ironiques, des confrontations grinçantes qui expriment l’étendue et la complexité du lien de filiation. Mais est-ce que ces histoires de famille ont un caractère particulier, quelque chose qui les relie clairement à la vie dans les cités construites en marge des grandes villes françaises? "C’est difficile pour moi de répondre, avoue Pommerat. D’un point de vue dramatique, dans le sens de théâtral, la cité est une réalité qui m’intéresse. J’ai écrit plusieurs pièces qui évoquent cet univers, parce que je crois qu’il ne faut pas abandonner ces questions au monde du documentaire ou aux émissions sérieuses, il faut aussi que la poésie théâtrale cherche à raconter ces endroits et ces gens. C’est très important d’écrire à partir de ces lieux, de ces héros et de ces héroïnes."

Cela dit, le dramaturge espère que la pièce dépeint une réalité universelle, ou à tout le moins française, et non pas simplement celle d’une cité. "Ce sont à mon avis des enjeux universels. Ils ne sont pas liés à un milieu social en particulier. Dans une cellule familiale, il y a du pouvoir, de la domination, de l’affection, de la haine, de la violence, de l’amour, un attachement profond. Tout cela est entremêlé, inséparable. La famille, c’est le lieu de la complexité humaine, un lieu où on ne peut pas mettre les bons d’un côté et les méchants de l’autre. En somme, c’est peut-être un spectacle que j’ai fait pour lutter contre les trop grands stéréotypes, les clichés qui peuvent être véhiculés, notamment par la publicité. La famille parfaite, ça n’existe pas!"

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C.V.

Joël Pommerat est auteur et metteur en scène. En 1990, il fonde la Compagnie Louis Brouillard. Dès lors, il crée ses premiers spectacles au Théâtre de la Main d’Or à Paris (Le Chemin de Dakar, Le Théâtre, Vingt-cinq années, Des suées, Les Événements). L’activité de la compagnie s’accroît considérablement à la suite du succès de la pièce Au monde, en 2004. Le rayonnement national et les tournées à l’étranger (Lausanne, Stockholm, Buenos Aires, Bruxelles, Genève) en font l’une des compagnies françaises de théâtre contemporain de création les plus en vue. En juillet 2006, Pommerat est invité au 60e Festival d’Avignon avec Le Petit Chaperon rouge (spectacle d’ouverture), Au monde et Les Marchands. En novembre de la même année, Peter Brook le nomme artiste associé au Théâtre des Bouffes du Nord pour une durée de trois ans.

En amont des spectacles de Pommerat, il y a une posture, celle de vigile. "Déjà, quand on est un être humain, un citoyen tout simplement, il faut résister à l’uniformisation du regard, de la pensée. Quand on écrit, il me semble qu’il faut être encore plus vigilant. On risque tous de penser comme il est plus facile, pratique, convenu de penser. Ma motivation, c’est une curiosité, un désir de soulever le tapis pour voir ce qu’il y a en dessous. Ça ne m’intéresse pas de démoraliser les gens, mais ce n’est pas non plus mon rôle de leur donner de l’espoir. Je trouve ça énervant de penser que ce serait à nous, les auteurs, de donner de l’espérance aux gens. C’est aux gens eux-mêmes de trouver des raisons d’espérer. À mon avis, savoir regarder les choses en face et pouvoir appréhender le monde tel qu’il est, c’est une source d’optimisme en soi."