Lortie : Mythologie des temps modernes
Scène

Lortie : Mythologie des temps modernes

Avec Lortie, le Nouveau Théâtre Expérimental offre sans contredit l’une des meilleures productions de l’automne.

Ces jours-ci, l’équipe du Nouveau Théâtre Expérimental renoue enfin avec les oeuvres sociopolitiques qu’elle avait l’audace de créer au début des années 2000, un genre qui rompt avec le consensus en abordant des sujets épineux, des événements qui ont de terribles résonances, aussi bien dans l’intime que dans le collectif. Avec Lortie, un texte de Pierre Lefebvre mis en scène par Daniel Brière, la compagnie dévoile de manière particulièrement convaincante, sans jamais sombrer dans le pathos ou la caricature, les multiples ramifications de ce que l’on croyait être un fait divers, mais qui, en fin de compte, pourrait bien être un mythe des temps modernes.

À peine assis, on est déjà séduit par le rapport scène-salle instauré par le scénographe Michel Ostaszewski. Les spectateurs sont installés dans des gradins qui évoquent l’Assemblée nationale, mais aussi un tribunal, une arène ou un plateau de télévision. Pour rappeler la Grèce antique, il y a la présence d’un choeur à trois voix (Eugénie Gaillard, Pascale Montreuil et Catherine Vidal), trois grâces bienveillantes, mais surtout clairvoyantes qui escortent merveilleusement le récit, révèlent son souffle tragique, sa portée mythique, psychanalytique et philosophique. Il est bien rare que le théâtre se fasse aussi érudit, à ce point analytique sans être didactique ou sentencieux, bien rare qu’il s’adresse à ce point à notre intelligence.

Ce matin-là, le caporal Lortie voulait en finir avec un père violent et abusif, un homme dont il disait reconnaître le visage dans le gouvernement du Québec. Cette tentative de parricide, le metteur en scène s’en empare avec beaucoup de doigté, nous plongeant littéralement dans ce qui pourrait être l’espace mental du militaire. Grâce à quelques accessoires, une significative utilisation du plateau et surtout un mur de téléviseurs brillamment animé par le vidéaste Yves Labelle, la représentation fascine.

Dans l’imperméable de René Jalbert, le sergent d’armes qui parvient, au terme d’un dialogue admirable de finesse, à convaincre Lortie de se rendre, Henri Chassé est impeccable. Quant à Alexis Martin, son interprétation sensationnelle est grandement responsable de la force de frappe de cette création. Le comédien donne à cet individu qu’on a maintes fois ridiculisé une dimension humaine, un mélange unique de folie et de lucidité. À vrai dire, ce spectacle pose sur le destin de la nation québécoise un constat dont on ne peut tout simplement pas se priver.