Dulcinée Langfelder : Mémoires d'outre-temps
Scène

Dulcinée Langfelder : Mémoires d’outre-temps

Avec La Complainte de Dulcinée, un spectacle multidisciplinaire où elle donne vie avec verve et humour à un personnage oublié, Dulcinée Langfelder pose un regard subversif sur l’histoire de l’humanité.

Si Dulcinée est le prénom d’une des artistes québécoises les plus inclassables, c’est aussi un nom commun désignant une douce moitié, une "femme inspirant la passion amoureuse", précise le dictionnaire. Le terme vient d’un personnage évoqué en 1605 par Cervantès dans son Don Quichotte de la Manche: c’est au nom d’une certaine Dulcinée du Toboso, qui n’apparaît jamais dans le roman, que le célèbre chevalier errant mène toutes ses batailles pour sauver le monde.

"Cette femme est une idée, c’est un symbole de l’amour courtois, commente Dulcinée Langfelder. Elle vient du temps de l’expulsion des Juifs et des Arabes d’Espagne et de la découverte de l’Amérique. Je me suis demandé ce qu’elle aurait à dire si elle pouvait parler. Alors elle vide son sac. Elle exprime sa frustration de ne pas avoir su que Don Quichotte l’aimait et de voir dans le monde l’état des choses qu’il n’a pas réussi à corriger."

Fidèle à son goût pour la satire sociale et pour la multidisciplinarité, Langfelder use du jeu théâtral, de la marionnette, de la chanson, de la danse et de la projection multimédia pour s’attaquer à de grands thèmes de l’histoire allant de l’Antiquité au 11 septembre. Foisonnant de trouvailles et de rebondissements, le spectacle n’a pas de ligne directrice à proprement parler, mais nous entraîne d’un thème à l’autre par associations d’idées. On y parle d’amour, d’exclusion, de sexualité, de religion, de guerre, etc., le féminin s’imposant comme un axe majeur de la structure globale.

"J’ai fait un rêve où la figure de Shekinah m’est apparue et son identité est devenue une clé pour la pièce, raconte Langfelder. Elle symbolise beaucoup de choses: c’est un mot hébreu qui désigne l’aspect féminin de Dieu; chez les chrétiens, la gloire de la Shekinah est le buisson ardent, la présence divine sur terre, et les musulmans ont un terme dérivé pour parler de la paix intérieure. Elle fait partie des déesses antiques à qui je donne littéralement une voix en utilisant une technique que le vidéaste Yves Labelle m’avait proposée avant qu’elle fasse le succès des Têtes à claques."

Entourée d’une équipe de techniciens doués de talents artistiques, la comédienne, chanteuse, danseuse et chorégraphe les a invités cette fois à construire la pièce avec elle et à monter sur scène. "Je cherche à célébrer le spectacle live dans tous ses aspects, et les techniciens qui le bâtissent avec moi sont aussi importants que la technologie ou les différentes disciplines, clame-t-elle. Leur formation technique fait qu’ils voient le spectacle dans sa globalité, au-delà de leur rôle. C’est d’autant plus important que les effets ne sont pas là pour rehausser le jeu: ils font partie intégrante du jeu et de l’écriture même de la pièce."

Plus flamboyante que larmoyante, La Complainte de Dulcinée a été réalisée avec le précieux concours d’Alice Ronfard, metteure en scène, mais aussi mentor et bras droit de Langfelder dans ce projet. Acclamée en septembre par le public japonais, elle a été jouée en anglais avant d’être donnée au public francophone.

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PATRIMOINE EN PERIL

Dulcinée Langfelder occupe peu l’espace médiatique car elle tourne beaucoup plus qu’elle ne produit. Créée en 1999, Victoria, sa pièce précédente, a été traduite en 6 langues et jouée quelque 260 fois dans 105 villes de 12 pays différents. C’est dire le succès de cette New-Yorkaise d’origine qui, depuis 1985, fait rayonner son art et l’image de la culture québécoise. Sachant que 80 % de ses revenus d’activités résultent de ses tournées à l’étranger, on comprend qu’elle soit menacée par les coupures annoncées par le gouvernement Harper. Si celles-ci ne sont compensées par aucune mesure pour soutenir l’exportation de la culture, elle se verrait dans l’obligation de mettre la clé sous la porte de Dulcinée Langfelder et Cie.