Robert Bellefeuille : Mange-moi
Dans Le Doux Parfum du vide, de Pascal Lafond, les êtres humains se font reluquer pour la généreuse ou tendre portion de viande qu’ils représentent. Rencontre avec le metteur en scène Robert Bellefeuille.
Le metteur en scène Robert Bellefeuille a connu le jeune auteur Pascal Lafond alors qu’il se trouvait encore sur les bancs de son École nationale de théâtre. Le Doux Parfum du vide était son "texte de sortie". Bellefeuille en a été le conseiller dramaturgique, avant de le créer au Festival de théâtre des Amériques en 2005. "J’ai tout de suite remarqué qu’il avait le sens de la réplique, qu’il avait un humour féroce, incisif, mais qu’il était aussi très intéressé par la société d’aujourd’hui. De là vient Le Doux Parfum du vide, qui est un commentaire sur jusqu’où on pourrait aller en tant que société."
La pièce, une production du Point d’exclamation Théâtre mettant en vedette Éloi ArchamBaudoin, Charles Baillargeon, Vincent Côté, Alexandre Fortin, Fanny Rainville, Agathe Lanctôt, Marie Pascale, Sébastien David et Milane Ricard, se déroule dans un resto branché où une chef de renom cuisine rien de moins que de la chair humaine. Ainsi, les "Viandes" (chairs consentantes) s’alignent devant le resto où elles seront apprêtées au bon goût des clients. À l’ère de la déshumanisation, c’est en réaction au besoin de pouvoir absolu de l’homme d’aujourd’hui, à son éternelle contemplation (télé-réalité) et à sa banalisation de tout – la mort, le sexe, l’amour – que Lafond, lui-même chef dans un petit resto montréalais, a voulu traiter de cannibalisme. "Je me suis demandé ce qui pourrait arriver le jour où toutes les combinaisons culinaires auront été faites et refaites. L’industrie de la haute cuisine, ne pouvant s’arrêter, devra trouver", écrit-il dans son mot de l’auteur.
À la première lecture du texte, Bellefeuille s’est dit autant révulsé que séduit. "Il y a un élément de séduction là-dedans. C’est un show très esthétique, qui est appétissant et intrigant. La notion de cannibalisme fait partie du spectacle, c’est le propos, mais on parle surtout du mal de vivre: "Pourquoi y aurait-il des gens qui voudraient se faire manger?" Ça traite aussi de la recherche de sensations fortes."
Dans cette fable douce-amère, poétique et troublante, l’humain est, encore plus qu’aujourd’hui, catégorisé. Un personnage fait même l’apologie des grosses; un autre, celle des laides. Mais attention, les chairs fumeuses ou alcooliques ne sont pas recommandées. Il semblerait que les doigts de pianistes frits soient toutefois irréprochables. "C’est très imagé comme vocabulaire, c’est aussi très ludique. Mais déjà, on a beaucoup d’expressions dévorantes dans notre vocabulaire, remarque avec humour Bellefeuille. On va dire: "Je vais lui arracher la face." La façon dont on traite les filles comme de la viande aussi: "C’est un beau morceau." Ou une fille qui parlerait d’un gars: "Regarde-lui les pectoraux, les fesses, ah, j’y mangerais les fesses!" Et dans la pièce, les descriptions de plats se font comme si on parlait d’un steak." Estomacs sensibles, ne vous abstenez surtout pas.