Denis Bernard : La beauté de l’horreur
Avec Le Pillowman, de Martin McDonagh, le Théâtre de la Manufacture poursuit son exploration des dramaturgies anglaises contemporaines. Rencontre avec le metteur en scène Denis Bernard.
Le directeur artistique de la compagnie, Jean-Denis Leduc, avait bien hâte de sortir de ses coffres ce texte de Martin McDonagh qu’il cachait depuis quelques années, après avoir programmé en 2001 sa première pièce, La Reine de beauté de Leenane. "Quand il m’a vu travailler avec les acteurs pendant les répétitions de Coma Unplugged, raconte Denis Bernard, il m’a offert Le Pillowman, me disant que j’étais le directeur d’acteur approprié. Il me témoignait par là une belle confiance, et je l’ai reçu comme un cadeau."
Il faut voir les yeux du metteur en scène briller quand il en parle. Installé dans un café du Plateau-Mont-Royal, toujours calme et persuasif, il laisse toutefois voir son enthousiasme à chaque détour de la parole, de telle sorte que le journaliste en ressortira plein d’attentes. "Mais honnêtement, confesse-t-il, j’ai presque envie de dire que je me fous du résultat. Je suis tellement fier du travail qu’on accomplit tous les jours en répétition, c’est la première fois que je sens autant de rigueur chez mes acteurs (Antoine Bertrand, Frédéric Blanchette, David Boutin, Daniel Gadouas et Marie-Ève Milot). Ils m’émeuvent."
Il est vrai qu’à la lecture, Le Pillowman est une pièce saisissante, "une cohabitation paradoxale de beauté et d’horreur", résume Bernard. Dans un État totalitaire, un écrivain et son jeune frère sont interrogés par deux policiers aux méthodes peu orthodoxes. Les histoires macabres que l’homme de lettres écrit en quantité industrielle semblent se répercuter dans une série d’événements réels. "Ça pose la question de la responsabilité de l’artiste dans la société, précise Bernard. Question troublante, que tout artiste se pose. Surtout quand on vit un épisode de danger de censure comme en ce moment, et que la montée de la droite a de quoi inquiéter."
Mais Le Pillowman, c’est aussi un chevauchement de contes, qui emprunte indirectement à l’héritage de Lewis Carroll, dans une construction déroutante qui "nous promène à travers de fausses pistes de manière très habile, ajoute-t-il. Fanny Britt a traduit cet univers-là avec beaucoup de personnalité, dans une langue qui est très près de nous, très vivante".
Pas question pour autant de modeler une mise en scène à aires ouvertes. Bernard a horreur des approximations. Il se définit comme un metteur en scène exigeant, et n’hésite pas à parler de virtuosité. "Pour moi, la virtuosité, c’est d’évoluer sur une ligne pure, de ne laisser aucun doute sur les intentions du personnage, dans la plus grande précision. Au théâtre, je n’aime pas avoir l’impression qu’aucun choix n’a été fait, prétendument pour le bien du spectateur. C’est un piège à éviter."
On n’en saura pas beaucoup plus, sinon que le metteur en scène a cherché une manière "très théâtrale" d’illustrer les contes et de mettre en lumière le comique et l’effroyable, de même qu’il s’intéresse à la violence cachée. "Il va falloir tendre l’oreille pour écouter ce show-là et réfléchir à sa violence souterraine: elle n’est pas crue, sauf à deux ou trois moments-clés. Pudeur et retenue sont les mots d’ordre."