Michel Faubert : L'homme derrière la légende
Scène

Michel Faubert : L’homme derrière la légende

Dans son tout nouveau spectacle, Michel Faubert entend nous faire voir le "fantôme dans la télévision" et autres prolongements fantastiques du quotidien. Entrevue avec l’autre vedette québécoise du conte.

De quoi parle-t-on durant les premières minutes d’un entretien avec Michel Faubert? De la résurgence du conte au Québec? Du dernier album de musique trad? Nenni. On parle de Voivod et Sepultura, voyons. Un homme a beau avoir fait connaître l’imaginaire fleurdelisé aux quatre coins du monde francophone, il n’en renonce pas pour autant à ses passions adolescentes.

En fait, parler conte avec Michel Faubert revient à convoquer tous les sujets, du heavy métal au football professionnel, en passant par Honoré Beaugrand, Edgar Allan Poe, la conquête spatiale ou la conquête amoureuse… Ce qui nous mène à cent lieues, bien souvent, du feu de bois ou de la bourrée de pipe. Si son voeu le plus cher est de nous faire voir "la part de vérité dans les légendes", c’est d’abord pour révéler tous les liens qui existent entre le fantastique et nos existences ancrées dans le 21e siècle.

"Avant d’être faites de mots, souligne ce pilier de la parole contée d’ici, les légendes sont faites d’images et d’émotions. Des émotions liées aux moments-clés, aux moments vibrants d’une vie. Que ce soit les apparitions de quelqu’un sur son lit de mort, dame blanche ou Sainte Vierge; que ce soit le loup-garou, le lutin ou le revenant, chaque fois l’arrivée d’un être surnaturel correspond à un moment intense, qui fait surgir une image." La suite est-elle vérité ou intox? "L’idée n’est pas de convaincre que les lutins existent physiquement, mais de montrer qu’il y a une part de nous-mêmes où ils existent", poursuit celui dont l’une des histoires met en scène une petite fille dont les parents se séparent et qui, bouleversée, engage bientôt un dialogue avec Maurice, un ami imaginaire, son petit lutin à elle.

Quant au loup-garou, Faubert y voit moins une histoire de bête humaine qu’une métaphore du lourd secret, dont la dissimulation va changer jusqu’à l’apparence physique de celui qui le porte. "En ce sens, nous connaissons tous des loups-garous, n’est-ce pas?"

CHRONIQUE DE L’ETRANGE

Neuf ans après avoir remporté le Félix du Scripteur de l’année, pour son spectacle L’Âme qui sortait par la bouche du dormeur, Michel Faubert propose donc Le Fantôme dans la télévision, dont le titre étonnant et beau vient d’un vieux souvenir d’enfance. "En mars 1965, se souvient-il, je suis en train de jouer par terre à la maison, puis soudain on voit à la télé le Russe Alexei Leonov qui sort de son vaisseau. Il s’agissait de la première sortie dans l’espace de l’histoire, mais à cause de son costume étrange, moi je pensais qu’un fantôme était enfermé dans la télévision!" raconte celui qui admet avoir eu souvent très peur de la machine à images dans sa jeunesse. "Il bougeait d’une drôle de manière, l’image était floue: j’étais sûr de mon coup!"

Pas étonnant que la télé agisse dans son langage conté comme un vecteur d’étrangeté. "Il faut se souvenir qu’à une époque, les gens s’habillaient propre pour regarder la télévision! On avait l’impression que si on la regardait, elle nous regardait aussi. Il y a là un rapport à l’image intéressant, à mes yeux."

Pour la première fois, le conteur délaisse complètement l’interprétation de contes traditionnels, ne proposant que de la création, bien que deux histoires aient déjà été racontées, qui empruntent à des légendes connues: La Vendeuse de rêves ("une histoire de fée des eaux et de chasse-galerie, sur fond de bar de danseuses!" dixit le principal intéressé) et une histoire évoquant le diable, tirée d’Histoires sorcières, ce projet gravitant autour de l’univers de l’auteur français Claude Seignolle et dont Jérôme Minière avait assumé le volet musical. Parenthèse: parlant de Minière, ceux qui avaient goûté en 2006 l’album La Fin du monde, fruit d’une rencontre Faubert-Minière, seront heureux d’apprendre qu’une suite est dans l’air, à paraître, avec un peu de chance, d’ici la fin 2009.

LE SORT DU MONDE

Au Studio-théâtre, le public aura droit en tout à une dizaine de contes, en plus de deux petits chapelets, ces séries d’historiettes que le conteur affectionne et dont il nous assure qu’elles sont vraies. Celle par exemple d’un type qui trouve un portefeuille par terre et qui, se rendant à l’adresse de sa propriétaire, tombe sur une dame convaincue, en ouvrant la porte, de reconnaître son propre fils. Lui, incapable de briser l’émouvant mensonge, ira jusqu’à partager le souper avec elle! "Je collectionne ces perles d’insolite, ces petites dérives qui portent à la fois un beau mensonge et une belle vérité."

Outre les thèmes ci-haut mentionnés, on trouvera celui du jeteur de sorts, dans un conte rappelant à notre souvenir le tragique incendie du cinéma Laurier-Palace, dans Hochelaga, en 1927. "Soixante-dix-huit enfants y avaient trouvé la mort, précise Faubert. Le film qu’on y présentait? Get ‘Em Young de Stan Laurel. Ça ne s’invente pas! À partir de ce drame, j’imagine un jeune qui pense avoir un pouvoir et qui se convainc peu à peu qu’il a une responsabilité dans ce qui est arrivé. Moi-même, jeune, j’ai cru posséder certains pouvoirs. C’est assez terrorisant…" Ici encore, l’homme de parole cultive sciemment le doute: "Chaque fois, on peut se demander si c’est vraiment arrivé. L’ami imaginaire par exemple, ce Maurice, on pourra se dire que c’est une pure invention, ou encore qu’il y a là une part de réalité."

Autre motivation pour lui: montrer à quel point nos souvenirs sont teintés du souvenir des autres, ou de l’inconscient collectif; montrer que tout cela se contamine. "J’ai connu une fille qui racontait une histoire, disant que ça lui était arrivé à elle, mais moi j’ai lu cette même histoire, au moindre détail près, dans une bédé! Comme conteur, évidemment, on est particulièrement sensible à cet aspect un peu schizo de nos personnalités!"

L’UTILE ET L’AGREABLE

Michel Faubert a maintes fois démontré qu’il savait habiter seul une scène, mais on connaît son intérêt pour l’habillage sonore. À ses côtés, le multi-instrumentiste Daniel Roy, un vieux complice, tambourinera sur différents types de percussions, jouera de la flûte, de l’harmonium indien, de la guimbarde. "N’oublions pas que la guimbarde, c’est l’instrument des chamans de Sibérie! Ça permet de créer des ambiances répétitives, hypnotisantes, qui nous prédisposent au merveilleux."

Transe légère au programme, donc, nous voilà prévenus, mais Faubert y tient: avant d’avoir pour objectif de dépayser, de faire rire ou pleurer, ces histoires sont d’abord utiles, dans le sens large du terme. "Elles l’ont été pour moi, elles ont mis des choses en lumière à certains moments de ma vie, alors j’aime les raconter, je me dis qu’elles peuvent être utiles à d’autres."