Robert Lepage : La fin d'un cycle
Scène

Robert Lepage : La fin d’un cycle

Robert Lepage et Marie Michaud, longtemps après leur première incursion dans l’univers chinois, se retrouvent pour une nouvelle création qu’ils signent et interprètent: Le Dragon bleu.

"Je ne suis jamais allée en Chine": ainsi s’ouvrait La Trilogie des dragons, créée en 1985 et reprise en 2003. Depuis ces mots magiques donnant le coup d’envoi à ce qui allait devenir une oeuvre mythique, à peu près tous les créateurs du spectacle, au fil des tournées, ont mis les pieds dans ce pays. À la vision d’une Chine mystérieuse, pleine d’imagination se substituent, pour Le Dragon bleu, l’expérience et la connaissance d’un pays qui a, lui aussi, évolué depuis. "C’est une Chine concrète qu’on présente ici, extrêmement réaliste en comparaison avec la Chine imaginaire, poétique de La Trilogie, avance Robert Lepage. La Chine est en train de changer radicalement: elle passe à une économie de marché et devient un pouvoir économique très fort. Ça vient avec un bouleversement social et une remise en question des valeurs."

À ce désir de parler autrement de la Chine s’ajoute, depuis longtemps, le souhait de Robert Lepage et de Marie Michaud de travailler de nouveau ensemble. "On a voulu partir d’une chose qu’on connaissait, explique-t-il. J’appelle toujours ça la cuillerée de yogourt pour partir une autre batch de yogourt. Partons de quelque chose qu’on a fait ensemble dans le passé, et essayons de voir où on en est: où l’histoire est rendue mais aussi, où on est rendus, nous, comme artistes." "C’est extrêmement agréable de travailler ensemble: la complicité est immédiate, poursuit Marie Michaud. Tranquillement, l’idée est venue qu’on reprenne le personnage de Pierre qui, lorsque La Trilogie se terminait, s’en allait en Chine, et qu’on se demande ce qu’est devenu ce personnage." "Depuis le départ, on savait que tout ça allait se dérouler là-bas, ajoute le metteur en scène. Mais on savait aussi que c’était une façon de mieux parler de ce qu’est devenu le Québec avec le temps. C’est toujours plus facile de se raconter quand on est chez les autres."

Le Dragon bleu retrouve Pierre Lamontagne 20 ans plus tard: il tient une galerie à Shanghai, où lui rend visite Claire Forêt, une amie surgissant de son passé, venue pour adopter un enfant. Avec eux, Xiao Ling (Tai Wei Foo), une jeune artiste chinoise. "Ce sont deux personnages, un peu comme nous, qui se sont connus il y a longtemps, qui ont étudié dans les mêmes écoles d’art, indique Lepage. Pierre est le gars plutôt socialisant, parti en Chine pour faire de l’entraide internationale. Claire est dans le milieu de la pub: elle a mis son talent au service du monde des affaires. C’est un peu une confrontation; et la Chine permet ça, parce qu’en ce moment, elle est dans ce débat-là. Elle prétend encore avoir ses grands idéaux socialistes – de collaboration, de collectivité -, mais en fait, elle roule maintenant sur une économie basée sur l’individu. Marie et moi, on incarne ces deux choses qui s’opposent, à la fois dans la grande mais aussi dans la petite histoire. Qu’est-ce que tu fais avec ta vie, avec ton talent? Et le troisième personnage, Xiao Ling, incarne bien la Chine d’aujourd’hui, qui a soif de consommation et qui veut s’exprimer."

"Ces personnages sont aussi à l’heure des choix, un peu comme l’est la Chine, enchaîne l’auteure et comédienne. La Chine dans laquelle Pierre s’est intégré était encore fermée. Mais là, elle vient de s’ouvrir: le monde étranger arrive à pleine porte, avec les avantages, les inconvénients et avec ce que ça bouscule dans les valeurs du pays, des gens. Claire fait partie de ces étrangers. La Chine les accueille; mais il y a nécessairement des chocs de culture, des confrontations. Cette société va devoir choisir ce qu’elle prend et ce qu’elle refuse. C’est ça aussi, Le Dragon bleu: des personnages à l’heure des choix, dans une Chine à l’heure des choix."

Créé en avril 2008 à Châlons-en-Champagne, Le Dragon bleu a été présenté en France et aux États-Unis. Le spectacle est joué, au Trident, en grande première québécoise.

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LE RETOUR DU DRAGON

La Trilogie des dragons présentait trois dragons – le vert, le rouge, le blanc -, que les créateurs du spectacle, interprétant la mythologie chinoise, associaient à trois saisons, trois périodes de la vie. Le dragon bleu correspond à la quatrième époque. "La saison qu’on avait associée au dragon bleu, c’était l’hiver, expose Robert Lepage. Le dragon bleu est celui qui dort sous la neige, qui est l’impulsion de vie. Pour le personnage de Pierre Lamontagne, c’est un peu la fin d’une époque, c’est comme la fin d’une histoire; comment on recommence? Après l’hiver, c’est quoi qui repousse? C’est ça le dragon bleu, ça représente cette vie qui attend. C’est sûr que Marie et moi, étant les auteurs principaux, on est aussi à un tournant de notre vie: on a du métier en arrière de nous, on se pose à peu près les mêmes questions que les personnages. On s’interroge, on se confronte à peu près aux mêmes affaires. Qu’est-ce qui nous attend? Pour nous, c’est ça que ça veut dire, le dragon bleu. Là, on est en train de fermer un cycle; comment on recommence notre vie d’artistes, de créateurs, d’adultes…?" C’est un nouveau cycle que Le Dragon bleu annonce: celui de ces personnages, celui de ces deux artistes, celui de la Chine.