Catherine Vidal : De la bouche des enfants
Scène

Catherine Vidal : De la bouche des enfants

La comédienne Catherine Vidal se fait de plus en plus souvent metteure en scène. Ces jours-ci, elle dévoile son adaptation du Grand cahier, le célèbre roman d’Agota Kristof.

En 1989, à la Salle Fred-Barry, Odette Guimond et Jacques Rossi avaient adapté et mis en scène Le Grand cahier. Martin Drainville et Alexis Martin incarnaient les jumeaux. En 2002, à Montréal, dans la série Théâtres du monde, puis au Carrefour de Québec, on s’émerveillait devant l’adaptation d’une compagnie belge nommée De Onderneming. Il n’y a pas à dire, publié en 1986, le roman de la Hongroise d’expression francophone Agota Kristof (elle vit en Suisse depuis plus de 50 ans) est une oeuvre fascinante qui inspire les gens de théâtre.

C’est adolescente que Catherine Vidal est tombée sous le charme du premier volet de cette trilogie traduite dans le monde entier. Elle en parle comme d’un véritable choc littéraire. La comédienne, qui a déjà signé la mise en scène de Criminel, un texte de Javier Daulte, et Acné japonaise, d’Étienne Lepage, espère arriver, avec cette toute première production du groupe Bec-de-Lièvre, à traduire la logique extrêmement inventive (certains diront déviante) des fameux jumeaux de Kristof. "Il y a actuellement une grosse polémique autour du livre, rappelle Vidal. Les professeurs ne peuvent plus vraiment le mettre au programme sous prétexte qu’il ferait la promotion de la zoophilie et de la pédophilie. C’est comme si on prenait les adolescents pour des imbéciles. Si un roman réussit à faire la promotion de ça dans la tête de quelqu’un, c’est qu’il y a quelque chose qui ne marche pas dès le départ!"

En campagne, livrés à une grand-mère brutale, deux jumeaux, Klaus et Lukas, doivent apprendre à survivre au froid et à la misère, à la guerre et à l’abolition de toutes morales, de toutes lois. Leur méthode: passer outre les sentiments, trop humains. "Dans leur monde, explique la metteure en scène, il n’y a pas de place pour les émotions et la subjectivité. C’est ça qui est fascinant. Afin d’obtenir ce qu’ils veulent des gens du village, ils se soumettent à des exercices d’endurcissement du corps et de l’esprit, transforment leur vulnérabilité en force." Cette discipline, les redoutables jumeaux, étonnant mélange de vilénie et de bonté, en rendent méticuleusement compte dans un grand cahier, une suite de courtes séquences lapidaires où Kristof cristallise magistralement quelque chose qu’on pourrait appeler la nature humaine.

Pour défendre les deux jumeaux, la metteure en scène a choisi nuls autres que Renaud Lacelle-Bourdon et Olivier Morin. "Ils sont tellement bons, lance Vidal. Je leur demande une telle virtuosité. Je ne veux pas qu’ils jouent des enfants, mais plutôt qu’ils aient une tête d’adulte dans un corps d’enfant. En plus, je leur demande d’évoquer, avec beaucoup de précision, juste par le jeu, et parfois avec un objet, tous les personnages secondaires. Au fond, on accède à tout un univers par les yeux des jumeaux, comme s’ils avaient capté l’essentiel des humains qui les entourent et qu’ils nous restituaient cette vision."