Denis Marleau : Au bout de la nuit
Scène

Denis Marleau : Au bout de la nuit

Avec Le Complexe de Thénardier, le metteur en scène Denis Marleau s’offre une deuxième incursion dans le théâtre du Béninois José Pliya.

Grâce à de prestigieux coproducteurs belges, français et québécois, Denis Marleau – qui dirige la compagnie Ubu depuis 1982 avec une constance et une rigueur exemplaires – a créé à Limoges, en septembre dernier, une deuxième pièce de l’auteur béninois José Pliya. Après Nous étions assis sur le rivage du monde…, "une joute verbale et physique, ponctuée de silences tendus", le metteur en scène se porte maintenant à la défense du Complexe de Thénardier, un autre face-à-face, tout aussi cruel.

"Je ne vous cacherai pas que beaucoup de gens m’ont poussé à monter cette pièce, confesse Marleau. Je dirais même qu’ils se sont ligués pour que je le fasse. Cela dit, c’est un vrai coup de coeur qui m’a incité à accepter. Chaque fois, pour moi, c’est l’écriture qui décide. Pour toutes sortes de raisons. À vrai dire, j’affectionne tout particulièrement les pièces qui ne sont pas faciles à monter, les textes où il y a toujours quelque chose à chercher."

Avec Le Complexe de Thénardier, un texte créé il y a sept ans par Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-Point à Paris, on peut dire que Marleau est servi. Dans ce huis clos, la parole est souveraine. Percutante déclinaison du rapport maître-esclave, la pièce est un dialogue serré entre deux femmes blessées, deux personnages qui résistent à toute tentative de classification manichéenne.

Dehors, c’est la guerre, les exécutions, les massacres. La Mère (un rôle en or pour Christiane Pasquier) accepte d’héberger une jeune femme en fuite, Vido (incarnée par la jeune actrice belge Muriel Legrand). Pour se rendre utile, Vido devient fille de maison, femme de ménage, nounou des enfants. Puis, un froid matin d’hiver, Vido choisit de s’en aller. Contre toute logique, contre tout bon sens. La Mère, atteinte du "complexe de Thénardier", fera tout pour l’en empêcher. Ici, humiliation, attachement, générosité, pouvoir et soumission se confondent.

"Nous avons fait un véritable voyage dans cette écriture, lance Marleau, un voyage beaucoup plus compliqué qu’il ne devait l’être. Sous une apparence simpliste, sous l’apparence lisse du langage, se cachent une rugosité, une violence, une souffrance peu communes. La relation entre ces deux femmes est une histoire de vie et de mort. Ni plus ni moins."

En effet, entre La Mère et Vido, deux personnages qui ont la souffrance et la survie en commun, la parole est une arme, un stratagème, un instrument de torture, mais aussi une mise à nu. "Les mots sont très chargés, terribles, admet le metteur en scène. C’est une pièce sur la guerre, mais plus encore sur la guerre des mots."

Cet affrontement, il est truffé de stratégies d’humiliation, des méthodes qui sont reconduites du social à l’intime et qui font de cette maisonnée un microcosme, mais il y a aussi, en filigrane, dans les silences, de l’amour, de la tendresse… de l’humanité. "En fait, tout passe par la relation, explique Marleau. Ce n’est pas l’idéologie qui est au premier plan, c’est le contraire de ça. On assiste au déboulonnage d’une relation. Deux femmes doivent enfin se parler, s’expliquer, alors que quelque chose de très important est sur le point de se produire."

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