Gregory Hlady : La bête humaine
Gregory Hlady dirige Paul Ahmarani et Denis Gravereaux dans Coeur de chien, une adaptation d’une fable satirique de Mikhaïl Boulgakov.
Il y a des années que Téo Spychalski, directeur artistique du Groupe de la Veillée, a le projet de porter à la scène Coeur de chien, singulière nouvelle écrite en 1925 par Mikhaïl Boulgakov (1881-1940). Un texte entre les lignes duquel on a tôt vu une charge antibolchévique sévère, qui aurait d’ailleurs fait piquer une colère à Staline en personne avant d’être censuré en territoire soviétique, ainsi que toute l’oeuvre de l’auteur du roman Le Maître et Marguerite, ce pendant près d’un demi-siècle.
Quand il a proposé au metteur en scène Gregory Hlady de tenter le coup, Téo Spychalski promettant d’assurer lui-même le montage du texte, celui-ci a dû surmonter quelques appréhensions. C’est que l’écriture de Boulgakov imbrique le réalisme et le surnaturel, ce qui pose une série de difficultés techniques, en plus de porter constamment divers degrés de signification. "Il s’agit d’une oeuvre dont l’essentiel est invisible, derrière les mots, et il est vrai que ça relève du pari que de chercher à en faire voir, au Québec, en 2009, toute la richesse", confirme l’homme de théâtre né à Kiev, qui a déjà dirigé pour la Veillée, entre autres, Le Retour du récemment disparu Harold Pinter.
HOMO SOVIETICUS
Coeur de chien se déroule à Moscou, dans les années 1920. Le professeur Transfigouratov (Denis Gravereaux), médecin réputé mais cinglé, conçoit le projet de transformer un bon toutou (Paul Ahmarani) en être humain. La pièce touche donc au fantasme Frankenstein et à la thématique des modifications biologiques, assez d’actualité, merci – rappelons que Boulgakov était lui-même médecin -, mais le plus important se joue sur un plan symbolique, la nouvelle créature, qui a gagné en complexité intellectuelle mais a perdu en gentillesse et en compassion, pouvant incarner l’homme post-révolution, ou "homo sovieticus".
Gregory Hlady se propose de donner, en alternance, le point de vue du savant puis du chien. Encore fallait-il trouver un comédien capable d’incarner le canin de manière crédible. "Il y a quelques mois, se souvient-il, alors que j’étais justement en train de chercher le bon casting, j’ai croisé Paul dans un magasin. En discutant avec lui, je me suis dit soudain: c’est lui!" Ahmarani saurait apparaître à la fois comique et touchant, capable de profondeur comme d’une "naïveté primordiale". "Je vous préviens: il est parfois drôle à s’en décrocher la mâchoire."
On s’en doute, le défi était d’entremêler les registres. "Une précision s’impose: nous sommes dans la tradition du réalisme magique, explique Hlady. Ça permet d’embrasser le spectre des différentes questions ici posées: l’aspect politique, religieux aussi, Transfigouratov usurpant les droits divins de la création. C’est à la fois divertissant, menaçant, carnavalesque, tragique…"
Le metteur en scène peut heureusement compter sur une distribution solide, n’hésitant pas à parler du "parcours initiatique" qu’a représenté, pour chacun, l’appropriation de cette matière plurielle. Dans ce pari scénique, on retrouvera en effet Annie Berthiaume, Frédéric Lavallée, Sergiy Marchenko, Sasha Samar et Nadia Vislykh, tandis que les décors sont signés Vladimir Kovalchuk et que la musique, dont on dit qu’elle joue un rôle important, est l’oeuvre de Dmitri Marine.