Lorraine Côté : Lignes de vie
Lorraine Côté signe la mise en scène d’Hedda Gabler, dont le rôle-titre fait l’envie de toutes les comédiennes. Réalisation d’un rêve d’actrice.
Comme dans Une maison de poupée, Henrik Ibsen a su créer avec Hedda Gabler un personnage féminin fort, dont la résonance demeure actuelle. "C’est une histoire de femme comme il a dû y en avoir des dizaines à une certaine époque en Occident et comme il y en a encore beaucoup dans d’autres pays, observe Lorraine Côté. À l’instar d’une Marie Curie ou d’une George Sand, Hedda Gabler aurait dû avoir une carrière, mais elle n’a pas pu parce que son éducation, la société dans laquelle elle vivait et son manque de courage ne le lui permettaient pas. Alors, l’air de rien, on entre dans une tragédie, celle d’une femme qui s’autodétruit et qui détruit tout ce qu’il y a autour d’elle parce qu’elle ne s’aime pas, parce qu’elle est incapable de vivre son destin."
On aura compris qu’il s’agit d’un personnage d’exception. "Toutes les filles veulent jouer Hedda Gabler", affirme-t-elle, en la classant aux côtés de Phèdre parmi les rôles mythiques. Chez elle, ce désir est né à l’adolescence. "Je me sentais comme elle, pas dans le bon milieu, à la bonne époque, raconte-t-elle. J’avais l’impression que je méritais mieux et, en même temps, j’avais peur de la vie." Ainsi, bien que Véronique Côté soit l’heureuse élue, il s’agit pour Lorraine Côté de la réalisation d’un rêve. "C’est une pièce magnifiquement bien écrite, un beau drame psychologique très subtil, poursuit-elle. Ibsen était un fin observateur des humains, il avait un grand souci du détail. Aussi, pour le public, il y a un thriller; on se demande ce qui va se passer, on se laisse emporter par les liens entre les personnages, leurs motivations souvent fausses, troubles. En fait, aucun d’eux n’est inoffensif; ils sont tous très égocentriques et protecteurs de la tradition. En douce, ils ligotent Hedda, avec des liens de velours mais des liens quand même."
Voilà d’ailleurs l’idée qui a guidé sa mise en scène. "Quand elle entre dans la maison, elle entre dans sa tombe, illustre-t-elle. On a beaucoup travaillé pour créer une impression de cage, d’enfermement, de malaise. Le plateau est un peu désaxé, il évoque un entrelacement de racines ou des circonvolutions du cerveau, et le plancher se prolonge dans les airs, comme si elle était à l’intérieur d’une boîte. Ce n’est pas agréable, ça crée une sensation de claustrophobie. Aussi, je voulais qu’on sente l’encombrement des intérieurs bourgeois, où il y a plein de tables, de petits fauteuils et où rien n’est confortable. C’est encombré comme dans son esprit." De même, corsets et tournures traduisent l’oppression de la femme qui "ne peut pas courir, respirer ou manger". Dans un registre réaliste, donc, elle a surtout cherché à mettre le texte en valeur. "Je considère qu’un classique comme celui-là, tu essaies de le respecter le plus possible", conclut-elle, tout à fait comblée par l’immense potentiel de la pièce sur le plan du jeu.