Mélanie Demers et Laïla Diallo : Mutations
Mélanie Demers et Laïla Diallo reviennent dans la ville qui les a vues grandir pour présenter leur première création commune, Sauver sa peau. Identités renouvelées.
Mélanie Demers et Laïla Diallo se sont connues adolescentes à l’École de danse de Québec. Depuis, leurs vies ont emprunté des chemins différents, de Montréal à l’Angleterre. Mais l’amitié, elle, dure. Et le rêve de travailler ensemble aussi.
"Un jour, on s’est rendu compte qu’on était devenues toutes deux chorégraphes et on s’est dit: "C’est maintenant ou jamais"", raconte Demers, jointe à Paris au prestigieux Centre national de la danse, alors qu’elle s’y trouvait en résidence. Sauver sa peau y sera à l’affiche cette fin de semaine, avant d’atterrir à Québec pour ouvrir la saison hivernale de La Rotonde.
Présenter leur chorégraphie au public de la capitale revêt une signification toute particulière pour ces deux artistes qui ont parcouru le monde. "C’est une boucle qui se boucle! résume la chorégraphe. C’est drôle de revenir sur nos pas. Ça nous rend quand même un peu nerveuses de penser que les gens qui nous ont vues grandir vont être là – on l’espère, en tout cas! – pour voir à quel point on s’est construit une autre identité avec le temps."
PEAU DE SERPENT
L’identité et son perpétuel état de changement constituent la prémisse de Sauver sa peau. Un sujet qui s’est imposé pour les deux artistes métisses. "La thématique était claire dès le départ, parce qu’on a eu toutes deux à affronter le monde avec notre enveloppe, analyse Demers. Être aux prises avec plusieurs identités, c’est une partie intrinsèque de nos vies."
L’identité est donc mouvance; elle change et s’adapte, comme la peau qui se renouvelle sans cesse. Un parallélisme que les deux chorégraphes ont décidé d’exploiter. "On aimait la métaphore de la peau qui renaît, comme le serpent qui mue", explique l’artiste. Mais la peau, c’est également le porte-étendard de notre identité, et elle peut devenir symbole d’enfermement. Ce paradoxe sous-tend Sauver sa peau: "La peau peut devenir une prison, une carapace. La question qu’on pose, c’est comment être mouvant, libéré, mais en même temps fort, sans être fragile. On travaille beaucoup avec le rapport de dominant-dominé, en proximité, comme si on voulait se fondre l’une dans l’autre, devenir quelqu’un d’autre."
Dans la scénographie, cet équilibre précaire est marqué par des costumes et des accessoires qui viennent traduire l’idée de façade, par exemple une tête de gorille. "Durant la création, on a exploré le rapport entre ce qui est très primitif, à l’intérieur de nous, et très sophistiqué, à l’extérieur de nous, se remémore la chorégraphe. La tête de gorille est portée avec une robe de soirée, ce qui vient créer cette dichotomie entre qui on est et qui on essaie d’être."
L’univers de Mélanie Demers a souvent été comparé à celui du cinéaste David Lynch, un rapprochement qu’elle accepte, avec quelques bémols. "J’adore ce cinéaste… mais je le trouve vraiment weird (éclats de rire)! Je crois qu’il y a une certaine étrangeté dans mes images, oui. Par contre, c’est important qu’elles soient porteuses de sens, pour qu’on se reconnaisse entre acteurs et spectateurs. Pour moi, le spectacle est une forme de rituel où on essaie de se rejoindre et de trouver un sens à notre vie."
Celle qui dit faire l’amalgame du poétique et du politique dans ses créations croit que sa collaboration avec son amie les aura amenées toutes deux à évoluer. "Laïla a une certaine douceur, elle est dans l’évocation, alors que je suis un peu plus "rentre dedans". Nos deux univers se sont affrontés et ça m’a fait avancer dans une voie où je ne serais pas allée nécessairement, et je crois que c’est vrai pour elle aussi… C’est la beauté des collaborations!"