Le Complexe de Thénardier : Livrer combat
Denis Marleau retrouve le dramaturge béninois José Pliya et la comédienne Christiane Pasquier, un vrai trésor national, pour Le Complexe de Thénardier, un spectacle doté d’une force d’attraction peu commune.
Ici, plus encore peut-être que dans Nous étions assis sur le rivage du monde…, la première pièce de José Pliya que Denis Marleau avait portée à la scène, chaque mot est un scalpel que l’on plonge dans l’âme de l’autre. Avec leurs phrases ciselées, imparables, les deux personnages du Complexe de Thénardier livrent combat. En fait, entre les deux femmes, différentes mais prisonnières de la même grande misère, celle de la guerre, des droits humains bafoués et des conflits ethniques qui n’en finissent plus, les rapports de force ne cessent de s’inverser.
Qui manipule qui? Qui rescape qui? Qui condamne qui? La réalité est complexe. Si bien qu’on en finit par se demander qui est le bourreau et qui est la victime. Cette ambiguïté, c’est la force du huis clos de Pliya, son principal intérêt. Cela, Marleau l’a bien compris. C’est pourquoi il en joue avec maestria. Dans un décor austère, percé de quelques fenêtres ou se meuvent doucement des ombres blafardes, une femme d’un certain âge, résignée – on la devine de retour d’une nuit entière à vendre son corps -, et une jeune femme, papillonnante, le coeur encore plein d’espoir, s’affrontent en un sublime et terrible ballet. Les corps parcourent le plateau en toute synchronie, comme pour rééquilibrer les lignes de force d’un grand tableau.
La première a recueilli la seconde il y a quelques années, en a fait sa bonne, lui aurait sauvé la vie. Aujourd’hui, Vido veut prendre son envol, quitter la maison. Mais La Mère, qui l’entend tout autrement, déchaîne son immense violence sur la jeune femme, menace de la broyer. Puis le volcan s’apaise, le roc laisse voir des brèches, une vulnérabilité. À vue d’oeil, le personnage retrouve des traits humains. Mais à quel prix est-ce qu’on baisse les armes en temps de guerre? Au final, quelqu’un devra abdiquer. On vous laisse le soin de découvrir qui et comment.
Petit bémol: le jeu plus ou moins affirmé de Muriel Legrand. C’est probablement une question de direction d’acteur, mais la comédienne belge adopte souvent un ton juvénile qui gêne. Cela dit, à cette joute dans laquelle chaque mot compte, dans laquelle chaque souffle, chaque pause, exprime tant de violence contenue, tant de tendresse inavouable, Christiane Pasquier se livre tout entière. Déployant le sens du texte hypnotique de Pliya avec autant d’aisance qu’elle en détache les syllabes, la comédienne donne une fois de plus une interprétation majestueuse.
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