Le Sourire de la morte : Sauver sa peau
Scène

Le Sourire de la morte : Sauver sa peau

Le Sourire de la morte, une fascination théâtrale du Double Signe, permet de voir la lumière tout au fond de la cellule d’un présumé meurtrier, mais la catharsis ne se fait pas sans heurts.

Dès les prémices de la pièce, on comprend que Le Sourire de la morte, un texte d’André Ducharme, est une oeuvre complexe, mais ô combien fascinante. Elle raconte l’histoire d’une femme, Jeanne, qui se rend à la prison afin de discuter avec Louis, l’assassin présumé de sa soeur Émilie, pour comprendre et partager un fardeau. Elle n’a pas tué sa frangine, mais elle se sent responsable de sa mort. Quant à lui, un adepte de taxidermie, tout porte à croire qu’il a commis le meurtre, mais est-ce vraiment le cas? Le Sourire de la morte fait partie de ces pièces qui posent des questions, mais qui n’y répondent pas… pour notre plus grand plaisir.

Un thriller insolite et troublant? "Oui, car le propre du monde, c’est d’être troublé", répond Patrick Quintal, directeur artistique du Double Signe, mais également comédien. C’est à lui que la metteure en scène Pascale Tremblay a confié le rôle de Louis. Geneviève St Louis, Véronic Rodrigue, Jean-François Hamel et Denis Clément complètent la distribution.

COMMENT DEVENIR UN MONSTRE

"J’ai été très touchée par ce texte, même si au premier abord, il peut paraître dur", explique la metteure en scène. La douceur côtoie la violence dans les mots de Ducharme. "Tous les personnages véhiculent une ambiguïté, selon Quintal. Ils ont des zones d’ombre et de lumière. Je trouvais que ça concordait bien avec ce qu’on fait au Double Signe." La compagnie de théâtre sherbrookoise est reconnue pour créer des univers oniriques qui jouent sur la frontière entre le réalisme et l’imaginaire. "Dans la pièce, le personnage de Louis fait revivre Émilie dans sa tête, mais à un moment donné, il y a dérapage vers le réel."

La notion de monstre est également présente dans l’oeuvre du Double Signe. Quintal s’y est beaucoup intéressé. "Monstre veut dire "montrer" dans ses racines latines. C’est un miroir déformant, mais révélateur pour les gens qui se trouvent face à lui. Mais ça se fait dans les deux sens; les gens dans le miroir révèlent le monstre à lui-même."

Malgré qu’il soit un "monstre", le personnage de Louis est attachant, selon Tremblay: "C’est lui le tueur, le prédateur principal, et… on l’aime. Le public va rapidement s’attacher à lui parce qu’il a aimé la petite Émilie et que c’était une relation très saine."

LENTEMENT LA BEAUTE

Un imposant décor accueillera les spectateurs au Théâtre Léonard-St-Laurent. "On a décidé de travailler sur deux étages, explique Tremblay. Il fallait donc que ce soit massif. Dès que le public va entrer dans la salle, ça va lui rentrer dedans." Grâce à l’inclinaison de la salle, les gens descendront dans la cellule, là où se trouve le meurtrier. "Il y a un danger de descendre dans un trou, mais un danger qu’on apprivoise. Quand on est en haut, la bête a l’air pire que quand on en est proche."

Des projections évoquant la nature font également partie du décor et permettent de basculer vers les souvenirs de Louis avec Émilie. "C’était essentiel d’avoir ça, selon la metteure en scène. Ça fait une fenêtre dans le béton de la prison. La beauté est là, dans cet univers, cette poésie."

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COUPABLE D’AMOUR

Avant d’être auteur pour le théâtre, André Ducharme est d’abord un critique de cette même forme d’art. "J’en parle et j’en vois depuis 35 ans", nous confie le journaliste qui collabore entre autres avec L’Actualité. Le Sourire de la morte est sa deuxième pièce. "Pour moi, cette histoire est une quête d’amour."

C’est Patrick Quintal qui a rapidement perçu le potentiel du texte. "J’ai envoyé ma pièce en vue d’une lecture publique qui avait lieu en 2007. Dans le jury, il y avait Patrick. Rapidement, il m’a téléphoné pour me manifester son intérêt. À ce moment, je crois qu’il avait déjà compris quelque chose de la pièce que je n’avais pas encore saisi."

Puisqu’il y a toujours une part de soi dans ce qu’on écrit, en quoi Le Sourire de la morte porte-t-elle le sceau d’André Ducharme? "Je suis un meurtrier", rigole-t-il. "Je dirais que certains thèmes me rejoignent: la compassion, la responsabilité… Il est également beaucoup question de l’enfance. Tout cela m’appartient, mais je vais sortir un gros cliché: mes personnages me disaient des choses que je ne pensais pas pouvoir écrire. C’est vraiment comme ça que je l’ai vécu." À preuve, lorsqu’on lui demande si Louis est coupable, il ne peut pas répondre, car il ne connaît pas la réponse.

Savait-il dès le départ qu’il écrivait un suspense? "C’est le Double Signe qui m’a appris que c’en était un. Je trouve ça brillant de sa part. Mais ce n’est pas un suspense typique. Moi, j’ai écrit une pièce désynchronisée. Mon plaisir, c’était de jouer avec le temps et que ça reste plausible."

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LE RENARD

Un renard rôde dans Le Sourire de la morte. Voici ce qu’en pensent…

Patrick Quintal: "Il est présent à un niveau très réel, car c’est l’animal que Louis préfère, mais ça reste symbolique."

André Ducharme: "Le symbole du renard est réfléchi. Il représente la douceur quand on pense à celui du Petit Prince, mais il peut aussi faire peur."

Pascale Tremblay: "C’est drôle parce qu’au début je pensais que c’était Louis le renard, puis j’en suis venue à la conclusion que c’était Émilie."