Christian Lapointe : La tentation de l’absolu
Après avoir exploré des textes symbolistes et contemporains réputés difficiles, voire injouables, Christian Lapointe met en scène son deuxième texte, Anky ou la fuite. L’exigence n’en semble pas moindre.
Il a touché à Yeats, Gauvreau, Sarah Kane, Mark Ravenhill; il a osé monter Axël, monument symboliste de Villiers de l’Isle-Adam. Après CHS, son premier opus, un texte à l’imagerie magnifique, au fort pouvoir incantatoire, l’auteur et metteur en scène Christian Lapointe va plus loin encore, de son propre aveu, dans la radicalité de sa démarche. Créé l’été dernier au Carrefour international de théâtre, à Québec, Anky ou la fuite débarque ces jours-ci dans la métropole.
"Anky me permet de faire une synthèse très vaste de tous les éléments qui ont jalonné mon parcours, explique-t-il. Le texte lui-même est composé de trois types d’éléments: il y a un pan qui parle de la rencontre humaine, en général, un autre pan qui est un regard critique sur le monde, et un autre qui, sans l’appeler discours sur l’art, porte là-dessus. Les trois cohabitent et arrivent à créer une espèce de fiction que le spectateur fabrique, ou pas."
Texte à plusieurs voix, construit à la manière d’une partition musicale (défendue par Sylvio-Manuel Arriola, Maryse Lapierre et Jocelyn Pelletier), Anky ou la fuite échappe à la trame narrative, à la notion de personnages. "On a fini par associer le théâtre à l’histoire qu’on raconte. Alors que ce n’est pas nécessairement narratif, le théâtre. Ici, chacun construit son fil narratif. Ce qui est particulier, c’est que comme on travaille dans l’ouverture de sens, si tu me demandes c’est qui Anky, tout ce que je dirai, qui sera écrit, réduira le sens. Il s’agit de multiplicité: il est question de trois personnes qui, pour moi, comme spectateur, incarnent les voix d’une entité qui est à la recherche d’Anky."
Malgré l’exigence qu’il reconnaît volontiers dans ses spectacles et dans ses textes, Lapointe refuse l’étiquette d’hermétisme. "Le théâtre, c’est un acte volontaire, de le faire et d’y aller. Ce que je fais n’est pas hermétique parce que c’est offert, ce n’est pas volontaire dans la séduction, ce n’est pas de la confrontation non plus. J’essaie d’avoir des procédés qui obligent le spectateur à lâcher prise de son intellectuel et qu’il devienne juste des sens. Quand il devient juste des sens, le sens du spectacle lui parvient."
Le sujet du spectacle, c’est aussi, selon le créateur, la fiction de notre propre réalité. "Les êtres humains ne sont même plus des êtres humains, ils sont l’image des êtres humains. La scène est maintenant le seul espace où l’on peut être entier, où on n’est pas soumis aux règles de l’intelligence sociale. Ce n’est pas facile, parce que tout est fait pour que, même seul à la maison, on ne soit pas entier. Évidemment, ce n’est pas parfait le théâtre. C’est une quête d’absolu, on peut y toucher, parfois. Mais on attente à ça, au maximum."