Je voudrais me déposer la tête : Voyage au bout de la nuit
Scène

Je voudrais me déposer la tête : Voyage au bout de la nuit

Je voudrais me déposer la tête propose, dans une mise en scène épurée, un parcours aussi poignant que poétique: celui de Ludovic, brisé par le suicide de son meilleur ami.

Pour lancer cette parole à vif, écrite avec l’encre incisive de la souffrance par le jeune auteur Jonathan Harnois, ils sont cinq comédiens en scène, investis, portant avec précaution, sensibilité et profondeur ces mots graves, qui mènent cependant vers la lumière. Trois Ludovic (Christian Baril, Étienne Pilon, François-Simon T. Poirier), parfois choeur, parfois prenant le relais de la parole, triplent les gestes ou multiplient les réactions, en écho ou en diffraction; avec lui, avec eux, Andelle, son amoureuse, toute de vie et d’affection (Sylvie de Morais-Nogueira) et, brève apparition, déchirante, la mère (Chantal Baril) de Félix, l’ami disparu.

C’est par une sorte de voyage initiatique que Ludo retrouve peu à peu le chemin de la vie, partant à pied pour retourner chez son ami récupérer un objet précieux, symbole de Félix, de leur amitié. Ainsi Ludo refait-il surface, lentement, après avoir touché, fouillé, traversé l’ombre. S’il fait encore sombre à l’arrivée, la voie vers la lumière semble retrouvée. Accompagnés d’Andelle, les trois Ludo, voix diverses enfin réconciliées, le confient en fin de parcours, avec la fragile mais nécessaire certitude de celui qui, sauvé du naufrage, ne croit pas encore tout à fait à la terre ferme.

Claude Poissant, par une direction d’acteurs inspirée – les trois visages de Ludo – et une mise en scène dépouillée, offre à ce très beau texte un écrin propre au surgissement des images. Pour décor, un vaste espace, quelques objets, qu’éclaire une lumière diffuse, brouillée: image du désert dans la tête de Ludo, comme il le dit lui-même, dévasté, image du désert qu’il sent aussi autour de lui, alors que rien ni personne – sauf, peu à peu, Andelle – ne peut véritablement le rejoindre dans son mal.

Parole forte, poétique, à l’émotion prenante; écriture urgente disant la colère, l’impuissance et l’incompréhension devant le suicide, mais aussi la brûlure, l’écorchure de la perte: tel est le texte de Jonathan Harnois. Pour le faire vivre sur scène, Claude Poissant et son équipe recourent à un langage sensible, vibrant, et tout aussi poétique. Je voudrais me déposer la tête est un spectacle magnifique et bouleversant, à la fois douloureux et plein de pudeur.

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Les textes poétiques, les mises en scène dépouillées, métaphoriques