Le Filet : Piégé
Avec Le Filet, Marcel-Romain Thériault transforme un fait d’actualité de son Acadie natale en tragédie maritime contemporaine.
C’était en 2003. Les émeutes qui secouèrent Shippagan, en Acadie, dans un affront entre des crabiers professionnels et des amateurs qui souhaitaient tendre le filet, a donné la matière à Marcel-Romain Thériault pour écrire. "Ma prochaine pièce sera une comédie", promet-il dans son mot de l’auteur. "Pour rire après avoir pleuré." Parce que c’est bien sur les mécanismes de la tragédie que s’est appuyé le dramaturge pour construire Le Filet. Mais à quels dieux se vouer pour raconter son Acadie actuelle? La réponse fut pour lui aussi courte que la question: au dieu argent. "Depuis les années 70, les crabiers sont devenus des multimillionnaires presque du jour au lendemain! Et ça ne concerne qu’une toute petite poignée de gens, remarque Marcel-Romain Thériault, en faisant référence à l’"illusion" d’alors du gouvernement fédéral que cette industrie allait profiter à plusieurs, depuis la pêche de la ressource en passant par les usines et la transformation. "Or, ce n’est pas ça du tout qui s’est produit. Les crabiers sont devenus très riches et les autres crèvent toujours de faim."
Dans ce huis clos familial frénétique, l’auteur a mis ses personnages dans une marmite fumante. Étienne Chiasson (Robin-Joël Cool) est de retour dans son patelin après ses années d’études à Montréal… Son grand-père Anthime (Bertrand Dugas), propriétaire d’un crabier, souhaite voir son petit-fils prendre la barre de la business pour la relancer. Ce qui ne sera pas vu d’un bon oeil par l’oncle Léo (Éric Butler), actuel capitaine du bateau. Mais le jeune héritier n’a que faire des avoirs familiaux. L’idéalisme et le pacifisme de la jeunesse affronteront ainsi le capitalisme et l’individualisme de la génération précédente. La bataille sera brutale – faisant écho au chaos régnant dans cette industrie de la péninsule. "J’ai été secoué par ces événements de 2003 parce que ça m’avait fait penser à une guerre civile. Après nos luttes linguistiques et sociales où on avait un ennemi commun qui était l’establishment, de voir qu’on se battait entre frères m’avait beaucoup heurté en tant qu’Acadien. Tout ça pour la répartition de la richesse!" constate Marcel-Romain Thériault, qui y a néanmoins vu un tout nouveau prototype de personnages marquant la mémoire collective acadienne.
Le Théâtre populaire d’Acadie (TPA) a confié la mise en scène du Filet à Michel Monty, celui-là même qui sait faire dans cet univers où domine la testostérone et où il y a un presto, comme on a pu le constater dans son travail récent sur Gagarin Way de Gregory Burke. Monty a trouvé chaussure à son pied dans le réalisme cru de Thériault, qui avait un réel souci de "parler aux Acadiens dans leur langue". "Il y a une chose à laquelle je n’ai pas souscrit cependant: il n’y a pas de jurons dans la pièce. La pêche, c’est un domaine où ça sacre beaucoup, comme les milieux ouvriers. Je ne suis pas allé jusque-là puisque pour moi ce n’est qu’anecdotique. Et si j’avais poussé le réalisme jusque-là, on n’aurait entendu que ça", atteste-t-il.
Avec cette nouvelle production, le TPA est donc encore une fois invité à clore le Festival Zones Théâtrales, comme ce fut le cas en 2005 avec le poétique Murmures. Une lecture du Filet lors de cette même édition avait d’ailleurs entraîné moult réactions. Soyez donc avertis, ça va donner un grand coup!
À voir si vous aimez
Les pièces de Marcel-Romain Thériault, Les tragédies contemporaines