Ma femme, c’est moi : Pièce de musée
Serge Postigo relève l’immense défi posé par Ma femme, c’est moi, un solo de l’États-Unien Doug Wright mis en scène par Jean-Guy Legault.
Avec Le Mystère d’Irma Vep, Serge Postigo avait prouvé qu’il était capable de changer de costume, de perruque et de posture, autrement dit de personnage, à la vitesse de l’éclair. Avec Ma femme, c’est moi, le comédien de 40 ans démontre, en incarnant plus de 30 personnages sans perruque et à peu près sans changer de costume, qu’il est aussi capable de donner dans la finesse, la subtilité et la nuance.
Il s’agit en effet d’une heureuse rencontre. Une heureuse rencontre avec le solo polyphonique d’un dramaturge encore peu monté chez nous, l’États-Unien Doug Wright, à qui l’on doit aussi Quills, cette partition redoutablement efficace sur les derniers jours du marquis de Sade à l’asile de Charenton (Philip Kaufman en a fait un excellent film). Une heureuse rencontre également avec un metteur en scène, Jean-Guy Legault, dont la démarche est fondée sur la virtuosité de l’acteur. Les meilleurs exemples en sont sans nul doute Nuit d’Irlande, un solo de Marie Jones défendu par Jean-Marc Dalphond, et Théâtre extrême, un théâtre politique et participatif délicieusement subversif. À cette liste, il faudra dorénavant ajouter Ma femme, c’est moi.
Mais il s’agit surtout d’une heureuse rencontre avec un personnage, celui qui est au coeur du spectacle, l’insaisissable Charlotte von Mahlsdorf, une femme née dans un corps d’homme, celui de Lothar Berfelde, à Berlin, en 1928. Tour à tour conservatrice d’un musée d’antiquités, propriétaire d’un bar gai clandestin, pillarde des victimes du régime nazi, informatrice de la police secrète communiste et icône du milieu gai est-allemand, cette femme passe-muraille, décédée en 2002, méritait amplement de voir sa vie transposée à la scène.
Louise Campeau (décor) et Beth Kates (éclairages) sont parvenus à évoquer avec ingéniosité le fameux musée rempli de phonographes, mais aussi la prison, la salle d’interrogatoire et même le mur de Berlin. Dans les habits austères de Charlotte (signés Fruzsina Lanyi), avec pour seule frivolité un collier de perles, Postigo glisse avec agilité d’un accent à l’autre, d’un grain de voix à l’autre, d’un état d’esprit à l’autre. Au fil de la représentation, qui précisons-le évite courageusement l’étalage de pathos où la pièce aurait très bien pu mener les créateurs, le personnage apparaît sous nos yeux comme il se doit, c’est-à-dire dans toutes ses contradictions. Chapeau.