Patrice Dubois et Martin Labrecque : Grande roue
Scène

Patrice Dubois et Martin Labrecque : Grande roue

Avec La Grande Machinerie du monde, nouvelle production du Théâtre PàP, Patrice Dubois et Martin Labrecque approfondissent leur exploration de la lumière comme moteur du récit. Rencontre.

En 1989, quand le mur de Berlin est tombé, Patrice Dubois et Martin Labrecque étaient adolescents. Vingt ans plus tard, ils se rappellent leur insouciance devant cette page d’histoire qui se jouait outre-mer. Dans La Grande Machinerie du monde, il y a beaucoup de ces retours vers le passé pour mieux aborder le futur, de cette idée que la roue tourne et que les événements sont interconnectés.

Si, à Berlin, le mur tombe, à Québec, des portes s’ouvrent pour Christian (Alexandre Goyette), Kate (Sophie Cadieux) et Richard (Stéphane Franche), protagonistes ordinaires d’une petite histoire qui rejoint la grande à coups d’amour et d’exil. Leur récit est raconté en différé ou en direct, à travers les mouvements cycliques de la grande machinerie. Dubois et Labrecque tiennent mordicus à garder secrets les rouages de leur scénographie, "d’une structure modulable très simple", mais avouons que la simple évocation de tous ces engrenages met déjà en branle l’imagination.

Ces deux-là forment un duo assez unique dans notre paysage théâtral. En 2003, avec Everybody’s Welles pour tous (un spectacle sur la vie et l’oeuvre d’Orson Welles), Dubois (auteur et metteur en scène) et Labrecque (concepteur d’éclairages et co-idéateur) ont mis au point un processus d’écriture scénique dans lequel la lumière précède et déclenche l’action. La pièce, un étonnant dialogue entre le cinéma et le théâtre sans recours à des projections vidéo, avait alors remporté deux Masques.

Même si cette fois le texte est signé de la seule main du metteur en scène et que l’éclairagiste dit s’être fait plus discret, les deux créateurs n’ont pas tardé à soumettre les premières ébauches à l’épreuve du plateau. "Il y a eu un travail avec la lumière et l’image dès les premières phases d’écriture, raconte l’auteur. Je n’écris pas par images, mais les images se créent rapidement pendant le travail et influencent tout le reste, de l’écriture des dialogues jusqu’à la mise en scène."

"C’est vraiment ce qui nous intéresse, enchaîne le co-idéateur, permettre au récit de se déployer par l’éclairage. Mais ça ne demeure qu’un cadre. Je n’ai pas du tout envie de faire du théâtre d’effets, il faut qu’il y ait un contenu et des acteurs qui transportent une émotion. Même si notre démarche est unique, elle ne doit pas dépasser les bornes."

Si leur premier spectacle se jouait dans la pénombre, ils travaillent cette fois la luminosité et le contre-jour. Peut-être est-ce là une manière de représenter l’intime de manière plus crue, sans faux-fuyants, comme le fait d’ailleurs le texte, en partie autobiographique. Le dialogue, ici, est plein d’interruptions et de non-dits, "comme s’il y avait des failles, précise Dubois, des souvenirs flous avec lesquels il faut composer malgré tout. Je trouve que ça crée une dynamique intéressante entre les personnages, quelque chose de plus profond, comme une résurgence du passé qui s’incarne à merveille dans le jeu des acteurs, en toute retenue".