Luce Pelletier : Survivre à la crise
Scène

Luce Pelletier : Survivre à la crise

Le cycle états-unien du Théâtre de l’Opsis se poursuit avec Réveillez-vous et chantez! de Clifford Odets. On discute avec la metteure en scène Luce Pelletier de cet auteur méconnu au Québec.

Le hasard fait parfois bien les choses. Lorsque Luce Pelletier a demandé à Fanny Britt de traduire cette pièce, elle ne se doutait pas qu’elle serait jouée dans le contexte actuel de crise. Réveillez-vous et chantez! met en scène une famille juive du Bronx que le krach boursier de 1929 affecte durement. Au sein de cette famille d’ouvriers courageux, le grand-père Jacob (Albert Millaire), patriarche lettré, tente de son mieux de transmettre à son petit-fils (François Arnaud) sa fougue socialiste.

La pièce s’intéresse toutefois au sort de chacun des personnages (incarnés par Annick Bergeron, Évelyne Brochu, Jean-François Casabonne et Henri Chassé), de sorte qu’autour de cette histoire de révolte gravitent aussi des récits d’amour, d’injustices et d’enfants illégitimes. "De très beaux personnages, résume Pelletier, et c’est en partie pourquoi la mise en scène ne souligne pas les liens entre la crise de 1929 et le contexte actuel. Le texte parle de lui-même."

Ce premier texte de Clifford Odets, un dramaturge mort en 1963, est sans doute le plus emblématique de son travail, mais il n’avait encore jamais été traduit en français. "C’est une pièce simple, qui n’est pas sans maladresses, reconnaît Pelletier, mais qui est représentative de tout le mouvement de dramaturgie prolétarienne des années 30 et d’un certain ancrage idéologique dans le marxisme et la pensée de gauche. Je voulais la faire découvrir aux Québécois parce que la dramaturgie d’Odets a fait peu de vagues dans le monde francophone, malgré sa notoriété aux États-Unis."

Peut-être a-t-on négligé l’impact de ce courant à cause de son caractère très contextuel? Les pièces d’Odets étaient jouées par le Group Theatre, compagnie influencée par Stanislavski, devenue plus tard le très célèbre Actor’s Studio sous la direction de Lee Strasberg, et dont l’histoire aura retenu les incontournables théories du jeu psychologique plutôt que l’apport dramaturgique. À cause de son souci d’étoffer chacun de ses personnages et de mettre en lumière leur humanité profonde, Odets a été considéré comme le Tchekhov américain, "sans atteindre le même degré de raffinement dans l’écriture", précise Pelletier, ce qui a sans doute contribué à le laisser dans l’ombre de son homologue russe.

Après Le Bruit et la Fureur, adaptation du roman de William Faulkner, Réveillez-vous et chantez! est la deuxième production du cycle états-unien à se tourner vers le passé, "pour aborder l’Amérique sous un autre angle que celui de la surconsommation contemporaine". "La pièce d’Odets parle de la même chose que le roman de Faulkner, ajoute Pelletier, mais d’un autre point de vue, et j’ai voulu que ces deux productions se répondent."

La metteure en scène, qui privilégie ici la direction d’acteurs, propose une représentation inspirée, comme le texte, du "réalisme symbolique", laissant de côté l’hyperréalisme ou "le faux naturalisme télévisuel" pour faire une place à la suggestion. "Il y a aussi un petit côté suranné à cette pièce, explique Pelletier, que je voulais conserver. C’est fait dans un esprit très intime, mais le décor, un appartement plein d’obliques et contenant trop de portes, montre qu’il s’agit là d’une histoire plus grande que nature."