Olivier Choinière : Paradis perdu
Entre les murs du tout nouveau centre de création Aux Écuries, une heureuse initiative autrefois connue sous le nom de La Centrale, Olivier Choinière tient une séance de doublage de film pornographique intitulée Paradixxx. Vous avez dit atypique?
On inaugure ces jours-ci, dans une section de l’édifice du Théâtre des Deux Mondes, rue Chabot, non loin du métro Fabre, le tout nouveau centre de création Aux Écuries, un projet autrefois connu sous le nom de La Centrale. Pour faire les choses en grand, et surtout pas comme les autres, Marcelle Dubois, coordonnatrice artistique de l’endroit tant espéré, a choisi de lancer le bal avec Paradixxx, une séance de doublage de film pornographique pour quatre comédiens (Marc Beaupré, Céline Brassard, Émilie Gilbert et Sébastien Rajotte) et trois bruiteurs (Éric Aubertin, Jean-Sébastien Durocher et Éric Forget) organisée par l’unique Olivier Choinière. Nous avons profité de l’occasion pour bombarder l’auteur, metteur en scène, concepteur et directeur artistique de L’Activité de nos "pourquoi".
Voir: Pourquoi un paradis classé XXX?
Olivier Choinière: "De prime abord, c’est vrai, il y a quelque chose de dichotomique. D’un côté, il y a le paradis, l’éden chrétien, biblique, un endroit d’innocence, où les personnes qui y auraient vécu n’auraient pas eu conscience de leur nudité, ni de leur sexualité. Puis il y a cet autre paradis, qui est peut-être notre paradis moderne, où tout le monde fourre à tout vent. Mais il me semble y avoir un lien entre les deux, entre le paradis à la fin de nos jours et celui que la pornographie transporte. Ce qui est constant, c’est l’idée de l’attente, de la promesse, la promesse d’une jouissance qui serait plus grande que celle qu’on peut retrouver dans la réalité. Autrement dit, que l’ailleurs est meilleur, que ça se passe peut-être dans un autre monde que celui dans lequel on vit."
Pourquoi la pornographie?
"La pornographie fait partie de ma vie, de mon quotidien, depuis la page de sous-vêtements du catalogue Sears jusqu’aux Playboy du voisin. Je ne pourrai jamais savoir ce qu’aurait été ma vie sexuelle sans la pornographie. J’imagine qu’elle fait partie du quotidien de bien du monde, et ce, de plus en plus jeune. En tout cas, c’est une industrie extrêmement florissante. Pourtant, quand on parle de pornographie, on entre dans une zone sombre, une zone taboue. Quelqu’un peut raconter son combat contre l’alcool ou la drogue, mais un peu plus difficilement son combat contre la dépendance à la pornographie. Personne ne va avouer ça, probablement parce qu’il y a quelque chose de loser à dire que tu te masturbes devant ton écran d’ordinateur. La pornographie a toujours profité des interdits, de la censure, de ce que la religion catholique mettait à l’Index. Ce qui est intéressant, aussi, c’est qu’elle a toujours profité des avancées technologiques, de l’imprimerie jusqu’à Internet."
Pourquoi au théâtre?
"Il y a des éléments dans la pornographie, pas juste dans la représentation de la sexualité, mais dans tout ce qui est mis en scène, dans l’esthétique, dans les thèmes, les sujets, qui pour moi offrent un miroir, quelque chose comme un symptôme de tout le reste. Si on prend cette possible définition de la pornographie comme une promesse du plus grand, du plus gros, du plus fort, du plus extrême, du plus scandaleux, une promesse qui ne sera pas tenue, ça s’applique aussi à l’information, aux médias, à des tas de choses. La pornographie ne fait que montrer de manière plus concrète ce qui se passe ailleurs dans la société. Dans la pornographie, contrairement à ce qu’on nous vend, il n’y a pas de rencontre. Cette fusion des corps n’est pas une libération, c’est une illusion, un envahissement, un lavage de cerveau. L’excitation ne sera jamais assouvie! Comprenez-moi bien, je ne suis pas pour ou contre la pornographie. J’ai simplement envie d’offrir un point de vue autre sur un sujet qui appelle le jugement moral immédiat, de théâtraliser ça, d’offrir une distance par rapport à ces images-là, par rapport à ce lieu où doivent s’accomplir tous les fantasmes. Pour y arriver, j’invite le public dans les coulisses de la fabrication d’un spectacle qui est un doublage en direct. On s’imagine que vous venez voir quelque chose. On va donc tenter de vous livrer la marchandise."
Pourquoi une séance de doublage?
"En amenant l’élément doublage, on amène évidemment l’élément humoristique. Parce qu’il n’y a rien de plus absurde, je pense, de moins excitant en tout cas, qu’un film doublé. Après avoir fait ça en 2005, à l’occasion du Festival du Jamais Lu, de manière disons plus légère, vintage, avec un film italien des années 80, j’avais envie d’utiliser ce qui me semblait être le plus actuel comme type de pornographie, pour aborder le sujet de front, faire dire autre chose aux images. Sur Internet, j’avais l’embarras du choix. J’ai choisi ce qui me semblait le discours pornographique par excellence, c’est-à-dire qu’on voit des personnes qui prennent d’autres personnes pour de purs objets à consommer. Quand l’être est consommable, pour moi, ça parle de la société en général. On a beau dire qu’on est dans une société de consommation, mais jusqu’à quel point est-ce que ça affecte nos dynamiques, notre manière de vivre ensemble? Dans ce cas-ci, je trouve que c’est concrètement et clairement exprimé!"
À VENIR AUX ÉCURIES
Olivier Choinière n’est pas peu fier d’inaugurer les Écuries avec Paradixxx. Rappelons que L’Activité est l’une des sept entités, avec la Compagnie M.T.G.A.T., le Festival du Jamais Lu, le Théâtre les Porteuses d’Aromates, le Théâtre du Grand Jour, le Théâtre de la Pire Espèce et le Théâtre I.N.K., qui ont présidé à la naissance de ce nouveau lieu de représentation et de création. "Je dois avouer que je me suis mis dans un certain jus en acceptant d’ouvrir la saison, confesse le créateur. Cela dit, je suis fier de faire ça. Je pense que c’est important qu’un membre fondateur ouvre le lieu, et de surcroît avec un spectacle qui n’est pas conventionnel, sur un sujet qui est chargé parce qu’il touche au jugement, à la morale, à la perception du corps et de la sexualité dans une culture qui reste profondément chrétienne."
Pour Choinière, c’est toute une génération qui se trouve enfin un lieu, une génération qui emprunte les voies les plus diverses. "On n’est pas une troupe avec une seule manière de faire, une pensée, une esthétique, une ligne de parti. Les compagnies qui tournent autour des Écuries font des choses bien différentes, c’est ce qui marque notre génération, et c’est ce qui va marquer le lieu. Des univers très différents vont se côtoyer, des créateurs vont trouver un appui, une aide, une tribune, une structure. Un tel lieu de diffusion et de création, à Montréal, ça n’existait tout simplement pas!"
Ainsi, du 25 mars au 2 avril, le Théâtre de la Pire Espèce reprend pour la ixième fois son célèbre Ubu sur la table. Si vous ne l’avez pas encore vu, c’est vraiment le moment de remédier à la situation! Le 27 mars, la représentation est suivie d’un cabaret clownesque soulignant le 10e anniversaire de la compagnie dirigée par Francis Monty et Olivier Ducas, cette équipe qui nous a aussi donné Persée et Roland. Du 14 avril au 2 mai, la troupe DuBunker, qui nous avait donné en 2007 le superbe Diable en partage de Fabrice Melquiot, présente sa nouvelle création, Je voudrais (pas) crever, un texte de Marc-Antoine Cyr (Les Oiseaux du mercredi) mis en scène par Reynald Robinson. La pièce pose un regard sensible sur de jeunes trentenaires devant faire face à la mort d’un ami. Une oeuvre portée par le chant choral… et la chorégraphie d’un mobilier de maison.
En plus des spectacles, la saison propose une série de lectures-événements. Le 9 mars, Christian Lapointe (l’homme derrière C.H.S. et Anky ou la fuite) met en lecture OEuvre de destruction, de Marcelle Dubois, une présentation des Porteuses d’Aromates. Le 4 avril, Sylvain Bélanger, du Théâtre du Grand Jour, dirige 12 étudiants de l’École nationale de théâtre dans une lecture de Peanuts, un texte de l’Italien Fausto Paravidino. La lecture sera suivie d’une discussion avec un journaliste politicologue de la revue Arguments et Paul Lefebvre, qui vient de terminer la traduction d’une autre pièce de Paravidino, Nature morte dans un fossé, pour le Théâtre Blanc de Québec.
Aussi, à l’occasion de la 8e édition du Festival du Jamais Lu, on accueille deux lectures de textes inédits destinés au jeune public. Les 2 et 4 mai: Éric n’est pas beau, de Simon Boulerice. Le 7 mai: Quand tu seras un homme, de Marc-Antoine Cyr. Enfin, en apéro inopiné de certaines représentations, Marilyn Perreault et Annie Ranger serviront des extraits de textes de spectacles du Théâtre I.N.K. (Les Apatrides, La Cadette et Roche, papier, couteau…).