Le Déni : Zone de turbulences
Scène

Le Déni : Zone de turbulences

Martine Beaulne met en scène Le Déni, un drame familial pas très original mais dont les rouages sont diablement bien huilés.

Avec Denial, une pièce créée en 2000, le Britannique Arnold Wesker ne réinvente vraiment pas la roue. D’une facture on ne peut plus réaliste, le drame met en scène une famille sérieusement ébranlée par les accusations de l’une des siens, une jeune femme dont les vies amoureuse et professionnelle sont des échecs retentissants.

D’entrée de jeu, Jenny (Marie-Chantal Perron), dépressive, manquant cruellement d’estime d’elle-même, accuse son "enfant de chienne de père" (Guy Nadon) d’avoir abusé d’elle lorsqu’elle était enfant. À ses yeux, sa mère (Louise Laprade) est une complice. Pareilles affirmations déclenchent, on s’en doute, un véritable raz-de-marée, un cataclysme que la famille Young affronte… assez courageusement. Il faut savoir que derrière cette révélation d’inceste, il y a Valérie Morgan (Linda Sorgini), une travailleuse sociale devenue thérapeute, une femme influente et, on le découvrira assez vite, hautement manipulatrice.

Exploration des rouages psychologiques de la famille, de la souffrance morale qu’elle implique bien souvent, mais aussi de l’amour incomparable qu’elle peut procurer, la pièce est adroitement dirigée par Martine Beaulne. Au fil des 21 scènes, qui se jouent habilement de la chronologie d’une histoire particulièrement prenante, on ne cesse de changer notre fusil d’épaule. On a de l’empathie pour Jenny, mais aussi pour Abigail, sa soeur cadette (Marie-Ève Bertrand), qui ose se mesurer à cette thérapeute dont la malveillance est de plus en plus flagrante. En fait, la grande qualité de l’oeuvre, c’est qu’elle nous offre toujours les deux côtés de la médaille. En ce sens, le personnage de Sandy (Isabelle Vincent), une journaliste spécialiste de l’enfance sexuellement maltraitée, est une petite merveille dramaturgique. On accueille ses répliques, improbable mais délicieux alliage d’humour et de lucidité, comme des bouffées d’air frais.

Les acteurs sont tous convaincants. Certains livrent la marchandise, comme Perron, qui arrive souvent à abandonner ses mimiques d’ingénue, Vincent, tout à fait dans le ton, un délicat mélange de drôlerie et de gravité, et Laprade, qui malheureusement en fait un peu trop par endroits. D’autres excellent carrément. C’est le cas de Sorgini, imperturbable, déterminée, une comédienne qu’on ne voit décidément plus assez au théâtre, mais aussi de Nadon, tout simplement bouleversant dans la scène finale, et de Bertrand, souveraine, belle et puissante, surtout dans son face-à-face avec la thérapeute.

Il faut tout de même dire, en terminant, la gênante inutilité du personnage de Benoit Girard, un ami du père de Karen, la mère de Jenny, qui a vécu les camps de concentration, et le symbolisme un peu facile du décor de Richard Lacroix, un défaut que la sobriété de l’ensemble, si rare chez Duceppe, rachète amplement.