Simon Boudreault : Sacrilèges
Scène

Simon Boudreault : Sacrilèges

"Au Québec, le sacre est lié à quelque chose de viscéral, d’instinctif, comme un débordement d’émotion, explique Simon Boudreault, auteur du texte et metteur en scène. Il est à la fois commun et tabou, parfois utilisé sans même en connaître le sens. Je trouvais intéressant de pousser son utilisation à l’excès. Dans la pièce, les sacres deviennent des mots qui servent à tout, donc des coquilles vides, prenant un sens différent selon les scènes. Les personnages sont tellement pauvres en mots qu’ils sacrent. Ils ne sont pas capables de dire autre chose."

Les personnages, ce sont quatre femmes cuisinières dans une cantine scolaire: Armande, la chef cook, Cindy, Sarah et Martine. Chaque jour, Armande compose avec soin son menu, que le comité de parents d’élèves juge déséquilibré. Une accusation qui déstabilise la chef cook au point qu’elle se sent menacée par tous, y compris ses collègues. "Cette pièce est une non-rencontre, indique Boudreault. Ces quatre femmes sont coincées dans leur solitude. Elles voudraient partager leurs rêves, leurs questionnements, mais elles sont incapables de communiquer les unes avec les autres, incapables d’échanger."

L’impossibilité de communiquer dans une société pourtant pleine de nouveaux vecteurs est un thème qui revient souvent au théâtre. Mais Boudreault y ajoute une réflexion sur le langage: "On a beau s’entendre sur le sens des mots, ce que chacun met vraiment derrière est différent. Ainsi, dès le départ, les échanges reposent sur une imperfection. On peut essayer de préciser notre pensée pour se faire comprendre, on reste malgré tout dans une zone de compromis."

Quand on remplace la plupart des mots par des sacres, il est clair que cette "zone de compromis" s’élargit. On imagine la difficulté qu’a pu causer la mémorisation du texte aux comédiennes Johanne Fontaine, Anne Paquet, Marie-Eve Pelletier et Catherine Ruel. "Il s’agit presque d’un apprentissage musical, précise Boudreault. C’est un énorme défi pour elles que de véhiculer l’intimité, la vulnérabilité des personnages avec cette langue-là."

La compagnie a l’habitude de marier diverses disciplines artistiques. Ici, point de marionnettes, mais une petite incursion dans le monde de la sculpture. "Le réalisme m’intéresse plus ou moins au théâtre. On ne verra donc pas les comédiennes faire la cuisine, mais plutôt travailler de la glaise, une idée que m’a soufflée le concepteur de décors et accessoires Félix Ruel."

Boudreault avoue avoir trouvé fascinantes les réactions du public lors de la lecture du texte au Festival du Jamais Lu, en 2005: "Au début, les gens rient, puis le rire se transforme et les spectateurs n’entendent plus les sacres. Le langage devient musical, presque poétique, et le niveau d’écoute change complètement." S’il est difficile de prédire ses propres réactions, il faut admettre que l’expérience est tentante.