Sylvie Drapeau : De mère en filles
Scène

Sylvie Drapeau : De mère en filles

La comédienne Sylvie Drapeau et le metteur en scène René Richard Cyr prolongent leur complicité artistique en oeuvrant à la recréation de L’Effet des rayons gamma sur les vieux garçons, une pièce de l’États-Unien Paul Zindel produite pour la troisième fois en sol québécois.

En 1964, alors qu’il n’a que 28 ans, l’États-Unien Paul Zindel écrit The Effect of Gamma Rays on Man-in-the-Moon Marigolds. C’est la première et de loin la plus populaire des pièces de cet écrivain et professeur de sciences décédé en 2003. À l’affiche sur Broadway en 1971, l’oeuvre a été décorée, la même année, du prix Pulitzer pour le théâtre. En 1972, Paul Newman en a fait un film. Au Québec, la pièce a été créée, dans la traduction de Michel Tremblay, sous le titre L’Effet des rayons gamma sur les vieux garçons, en 1970, au Quat’Sous, dans une mise en scène d’André Brassard. Le spectacle mettait en vedette Denise Pelletier et Rita Lafontaine. Elle a aussi été jouée en 1982, par la Compagnie Jean Duceppe, dans une mise en scène de Claude Maher, avec entre autres Hélène Loiselle et Markita Boies.

Sylvie Drapeau, à qui René Richard Cyr a confié le rôle de Béatrice, la mère de Mathilde et Rita, les personnages incarnés par Catherine De Léan et Émilie Bibeau, se souvient très bien de la première fois que le metteur en scène, avec qui elle collabore depuis 1986, lui a parlé de la pièce de Zindel. "Il y a une vingtaine d’années, René Richard m’a donné le livre en me disant que c’était une pièce pour moi. À l’époque, je l’avais mis dans ma bibliothèque et ne l’avais pas lu. Puis, il y a trois ans, je l’ai lu et j’ai beaucoup aimé ça. C’est magnifique. L’action se déroule dans les années 70, mais c’est encore terriblement actuel. Même la traduction de Tremblay n’a pas pris une ride."

Béatrice, une femme centrée sur elle-même et abusive, marquée par la déchéance de son mariage, habite dans une ancienne fruiterie avec ses deux filles. Mathilde, la plus jeune et timide, prépare une expérience pour l’expo-sciences de son école: elle fait pousser des oeillets d’Inde (familièrement appelés "vieux garçons") dans un terreau radioactif. Sans cesse, sa mère la détourne de ses intérêts académiques. Sa soeur Rita, un peu névrosée et épileptique, marche dans les pas de sa mère. Au milieu de ce chaos, Mathilde, gardienne de lapins, rêveuse d’atomes, qui croit en la vie, en l’espoir et en l’effet des rayons gamma sur les vieux garçons, essaie de suivre son chemin et de s’accrocher à ses rêves.

"Comme des fleurs qu’on soumet à des rayons gamma, les membres de cette famille sont soumis au malheur, explique Drapeau. Ça donne des bibittes, des grosses bibittes effrayantes. Béatrice a plusieurs raisons d’être malheureuse. Il y a la monoparentalité, bien entendu, mais aussi la mort de son père, son mariage trop ordinaire, son rêve de danseuse jamais réalisé… Mais je pense que la plus grande blessure de Béatrice, c’est sa différence. Comme elle le dit: "Si t’as le malheur d’être un petit peu différente dans ce bas-monde, y essayent tu-suite de t’écraser.""

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LA COUSINE DE THERESE

En écoutant Sylvie Drapeau nous parler du personnage de Béatrice, on ne peut s’empêcher de penser à celui de Thérèse, l’attachante héroïne de Michel Tremblay, une femme insoumise et toxique que la comédienne a incarnée en 1994, au TNM, dans En pièces détachées, aussi sous la direction de René Richard Cyr. "Dès le début des répétitions, j’ai dit à René Richard que Béatrice était la cousine de Thérèse. C’est une fille qui était originale, pas conforme. On la disait exaltée. On s’est beaucoup moqué d’elle. C’est ce qui a fait d’elle un monstre. Mais un monstre qu’on connaît tous parce qu’on le porte en nous, comme un ego. C’est tout un numéro. Elle est excessive. Mais cet excès est drôle. Son destin est terrible, mais elle a toujours de la répartie, le sens de l’ironie. La pièce de Zindel, qui est carrément un hommage à sa mère, amalgame très habilement le comique et le tragique, elle joue avec cette bascule passionnante entre les deux."

Ce qui est crucial dans l’oeuvre, c’est la relation qu’entretient la mère avec ses deux filles. Mathilde et Rita, c’est l’avenir; s’il y a un tout petit peu d’espoir de niché au coeur de ce clan tragique, c’est là qu’il se trouve. "Rita ne s’en sort pas bien du tout, explique Drapeau. C’est à Mathilde que le public va s’identifier. Parce que, pour employer un mot qui est à la mode maintenant, c’est une résiliente. Elle s’est trouvé une passion. Mathilde est concentrée, elle a un espace intérieur. Son engouement pour la science est rien de moins que spirituel. L’atome, c’est l’énergie cosmique, l’infiniment petit et l’infiniment grand. Autrement dit, c’est avec Mathilde qu’on s’élève."