Alice Ronfard : Recherche de bonheur
Après Désordre public, créé en 2006, l’Espace Go présente le fruit de la seconde collaboration entre la dramaturge Evelyne de la Chenelière et la metteure en scène Alice Ronfard, Les Pieds des anges.
Pourquoi les anges furent-ils soudain pourvus de pieds par les peintres de la Renaissance? Telle est la question à laquelle Marie, jeune femme survalorisée par ses parents après le suicide de son frère, essaie de répondre dans sa thèse de doctorat. Cependant, plus elle analyse, plus elle glisse dans l’incertitude et la mélancolie, et sa thèse se transforme bientôt en confession.
"C’est une pièce difficile à raconter, explique la metteure en scène Alice Ronfard, car il y a plus que l’histoire. C’est un projet sur le regard – celui qu’on a sur les choses et celui que les autres portent sur nous -, mais aussi sur l’égocentrisme, la survalorisation du moi. Et comme toujours chez Evelyne, on retrouve cette grande idée du bonheur. C’est un matériau que l’on pourrait croire sombre, mais qui, en fait, aspire à la lumière, à la joie, à la vie."
Au centre de la pièce se trouve le personnage de Marie, que l’auteure Evelyne de la Chenelière a divisée en deux, comme un être bicéphale: "Cette jeune femme est toujours en état d’observation de sa propre vie, précise Ronfard, et la seconde Marie exprime le regard qu’elle porte sur elle-même. Durant la pièce, elle chemine, elle évolue. Tranquillement, elle commence à habiter son corps comme une espèce de renaissance pour elle-même."
Le texte est un enchevêtrement de tableaux très courts sautant d’une époque à l’autre et passant de la thèse à la réalité, une structure non linéaire qui n’a pas été simple à mettre en scène: "Pour les acteurs et moi-même, c’est un projet délicat à construire sur scène. Je me suis inspirée des peintres de la Renaissance et de la notion de perspective. Comme dans les tableaux, il y a des sujets principaux à l’avant et, à l’arrière, le début d’un sujet secondaire. Ainsi, on va de surprise en surprise, et on ne s’aperçoit même pas qu’on a déjà basculé dans le début d’une autre scène."
La Renaissance est aussi présente dans la scénographie, par le biais de la vidéo: "Nous avons intégré les croquis de Léonard de Vinci et reconstitué des oeuvres de Giotto, avec parfois tout le décor en peinture, et parfois un cadrage plus cinématographique. Je me sers de cette imagerie mais je la pousse plus loin, pour refléter ce que la Renaissance a apporté aux artistes contemporains, faire une espèce de trajet de l’histoire de l’art. Je suis de plus en plus picturale dans mon travail."
Pour cette nouvelle création, la metteure en scène s’est entourée de plusieurs artistes qu’elle connaît bien, notamment Yves Labelle à la vidéo: "J’utilise la vidéo mais avec parcimonie, car on reste au théâtre avant tout. L’image ne doit pas perturber le langage mais le nourrir, aider à faire des liens. Il ne faut pas écraser les comédiens." On retrouve dans le spectacle Sophie Cadieux, qui avait participé à Désordre public, et dont Ronfard dit qu’elle saisit parfaitement la tonalité dans laquelle Evelyne de la Chenelière travaille. On pourra également y découvrir un jeune comédien fraîchement diplômé de l’École nationale, Mani Soleymanlou, que la metteure en scène décrit comme extrêmement talentueux.
Un des défis pour les comédiens a été de trouver le niveau de jeu adéquat: "Evelyne ne travaille pas sur la douleur, explique Ronfard, elle n’aime pas quand on s’enfonce dans quelque chose de lourd, de dramatique. Il faut réussir à traduire l’absurdité de la vie sans basculer dans la tragédie ni "psychologiser". L’émotion et l’humour ressortent sans qu’on ait besoin de les montrer."
Quant à ce que les spectateurs retiendront de ce spectacle, la metteure en scène ne se prononce pas: "Je refuse de forcer la lecture d’une pièce. Chacun doit pouvoir se raconter l’histoire qu’il veut, construire quelque chose, imaginer."
Consultez la page de l’Espace Go au www.voir.ca/espacego.