Catherine Bourgeois : Dans le regard de l'autre
Scène

Catherine Bourgeois : Dans le regard de l’autre

Américanité, hypermédiatisation et solitude urbaine sont abordées de front dans Mimi, une performance mise en scène par Catherine Bourgeois et présentée dans un loft semi-industriel du Mile End. Conversation.

Ce sont des sujets à la mode, inévitables en cette ère d’individualisme et de timide remise en question de l’american way of life, mais Catherine Bourgeois et sa comparse Amélie Dumoulin (qui a entièrement cogité le spectacle avec elle) proposent d’y réfléchir à leur manière. Avec les comédiens Michael Nimbley, Catherine Lépine-Lafrance et Catherine L’Écuyer, elles poursuivent la démarche d’écriture collective qui a caractérisé les précédents spectacles de Joe Jack et John (Quand j’étais un animal, Ce soir l’Amérique prend son bain et Go shopping [et fais le mort]). Mais elles nous convient cette fois à un spectacle plus performatif, invitant littéralement le public à entrer chez Elvis, personnage principal d’une mise en scène qu’il s’est inventée lui-même pour donner un sens à son existence.

"J’aime travailler sur la mince ligne entre fiction et réalité, explique la metteure en scène. Il y a dans ce personnage beaucoup d’éléments qui nous ont été inspirés par la personnalité de l’acteur principal. C’est ce que j’entends par le mot "performatif", c’est la définition qu’on lui donne dans ce spectacle." Il faut ajouter que cet acteur, Nimbley, est atteint d’une déficience intellectuelle, et que son jeu, tout à fait hors-norme, contribue à modifier les perceptions, "créant cette impression d’un jeu d’acteur qui n’est pas vraiment du jeu". Bourgeois, qui travaille régulièrement avec des acteurs ayant un handicap intellectuel, est fascinée par les castings hors-normes, "pour la rencontre et l’entrechoquement de différentes visions du monde". Au Québec, les créateurs de ce genre se font rares, mais il y a déjà longtemps que l’Américain Robert Wilson et les Italiens Romeo Castellucci et Pippo Delbono (qui font assurément partie des influences de la metteure en scène) ont découvert les qualités de présence de ces acteurs atypiques.

Elvis, c’est un homme de 52 ans qui habite le même appartement minable depuis des lunes et souffre crûment de solitude. Il lui reste toutefois le souvenir d’avoir été aimé jadis, de s’être senti un jour admiré et célébré dans le regard de l’autre. Cherchant à faire revivre cette douce image de lui-même, il entreprend de gagner un record Guinness – celui du plus grand mangeur de pop-corn – pour être enfin quelqu’un, devenir une vedette et vivre dans l’imaginaire des gens. Ça vous rappelle quelque chose? Pourtant, Bourgeois n’ouvre jamais son téléviseur et ne connaît presque rien du phénomène de la téléréalité.

"Je m’inspire plutôt de ces moments solitaires où on s’invente une caméra imaginaire, précise-t-elle, où on fait des entrevues avec soi-même, se créant une représentation de soi que l’on met en scène. L’apparence, la nécessité d’être vu, c’est très présent chez ma génération, je crois." Pas de doute, ce sont là les traces de l’hypermédiatisation, mais d’une hypermédiatisation insidieuse et si profondément enracinée que sa source n’est plus tellement identifiable. Sombre destin que celui d’Elvis.