Lisi Estarás : Traversée du désert
Chorégraphe invitée des Ballets C. de la B., Lisi Estarás nous entraîne dans un voyage initiatique avec Patchagonia, une pièce pour cinq danseurs empreinte de violence et de mélancolie.
Avec un grand-père roumain, une grand-mère russe, des parents argentins et des origines juives, on comprend que l’identité soit un thème cher à Lisi Estarás, chorégraphe basée en Belgique après avoir séjourné en Israël et aux Pays-Bas. En référence à sa terre natale qu’elle a quittée à l’âge de 19 ans, elle nous transporte dans une Patagonie imaginaire, un désert qui renvoie à eux-mêmes cinq personnages en quête de bonheur.
"Je m’intéresse beaucoup au fait qu’on peut s’identifier à un endroit où on n’est jamais allé ou s’approprier des choses de l’extérieur pour se créer une fausse identité", confie l’artiste qui collabore depuis 1997 avec le collectif belge Les Ballets C. de la B. où elle a principalement travaillé avec le chorégraphe Alain Platel. Je parle beaucoup de solitude et je travaille des états physiques conditionnés par divers éléments. Je m’efforce aussi depuis quelques années de trouver ce que des gens de backgrounds très différents peuvent partager."
Dans Patchagonia, les personnages partagent le vide existentiel et l’avidité de le combler qui complique grandement la communication avec l’Autre. Confrontés aux déserts intérieur et extérieur, ils n’ont d’autre choix que de plonger au coeur d’eux-mêmes en quête de l’essentiel et de renouer avec leurs instincts. La gestuelle s’inspire d’énergies animales, le mouvement est basique et désordonné. "Il y a quelques années que je travaille des explosions d’énergie à partir d’un point neutre, commente Estarás. C’est un peu comme si la pensée était traduite en mouvements. Et comme elle passe très vite d’une chose à l’autre, le mouvement est anti-organique."
Dans un décor de désolation et sur une musique qui teinte la vitalité du folklore argentin de la mélancolie des errances bohémiennes, cinq êtres humains se cherchent et se racontent, en français et en anglais. La part de narration de cette pièce plutôt abstraite est simplement portée par les textes. "Ce qui était important pour moi, c’était d’avoir des personnages clairs, affirme la chorégraphe de 38 ans. Ils sont tous inspirés de la réalité de gens qui sont passés par la Patagonie, comme Darwin, Billy the Kid ou Antoine de Tounens, un Français qui s’est proclamé roi de la Patagonie en 1860. Tous avaient fui leur société pour une raison ou une autre et étaient là incognito."
Après avoir fait ses premiers pas de créatrice dans les créations collectives des Ballets C. de la B., Estarás a créé cinq pièces en binôme avec d’autres chorégraphes. Patchagonia est la première oeuvre de longue durée qu’elle conduit en solo. "J’ai trouvé très inspirant le fait que tous les jours, un monde s’ouvre, se remémore-t-elle. Mais, en même temps, j’ai eu du mal à laisser aller ce que j’avais programmé pour composer avec ce qui arrivait. Le plus difficile a été de gérer les gens. Les répétitions étaient très chargées émotionnellement, ils étaient souvent mécontents de leur travail, je comprenais leur vulnérabilité car je suis souvent passée par là et j’aurais voulu qu’ils soient toujours satisfaits." La création, comme la vie, n’est ni facile ni parfaite.
Consultez la page de la série Cinquième Salle au www.voir.ca/5esalle.