Lucie Grégoire : Le coeur des choses
Scène

Lucie Grégoire : Le coeur des choses

Lucie Grégoire et Yoshito Ohno rendent hommage à un grand maître de la danse butô avec Flower, une série de tableaux où l’intensité est concentrée dans un geste minimaliste et épuré.

Instauré au Japon par Tatsumi Hijikata au début des années 60, le butô a été livré à l’Occident par Kazuo Ohno, artiste aujourd’hui centenaire qui a partagé son enseignement avec son fils Yoshito Ohno. Et si ce style de danse a pris toutes sortes de formes au fil des ans, il n’a jamais été détourné du principe de la métamorphose qui l’a fondé et qui pose le corps comme un sac vide qui devient l’objet de la danse. C’est d’ailleurs le principal concept qu’en retient la chorégraphe Lucie Grégoire qui s’est initiée au genre avec Min Tanaka dès 1985.

"Le corps est un véhicule, on le rend disponible à capter l’énergie de l’autre, des choses, de l’univers, pour la transformer et la retransmettre, explique-t-elle. Par exemple, au début de la pièce, Yoshito reste immobile pendant un long moment, dos à la scène; il cherche à perdre son caractère humain pour devenir un objet. Ou encore, il y a une grande traversée en diagonale où j’essaye de devenir le lierre qui rampe entre les roches. Mais en même temps, je suis des pétales de fleurs qui se fanent, une vieille femme qui traverse l’existence… En fait, c’est un croisement d’images intérieures qui traversent le corps."

Depuis une vingtaine d’années, la Québécoise épure son mouvement en quête de l’essence pure de ce qu’elle cherche à exprimer. Repartie au Japon en 2003 pour affiner cette recherche, elle y rencontre Yoshito, qui se propose de la guider dans ses explorations en studio. Au fil des répétitions, il se joint à elle et ils créent Eye, présenté l’année suivante à l’Agora. Composé de solos mais aussi de duos, Flower est le résultat du raffinement de leur relation.

"Yoshito a l’aptitude à aller chercher ce qu’il y a de meilleur chez quelqu’un et à lui donner la direction pour le faire grandir et ressortir, poursuit Grégoire. Il propose des concepts qui sont mis dans le corps et moi, je chorégraphie. En entrevue, il a dit que le lien entre lui et moi, c’était Kazuo. Toutes les idées qui lui sont venues pour Flower sont en lien avec son père. Le titre fait d’ailleurs référence à l’idée que la beauté d’une fleur peut refléter la beauté de chaque être. Cette notion était très présente dans la danse de Kazuo. À son âge, il peut partir d’un jour à l’autre. Même s’il n’est pas décédé, la pièce est comme une célébration à sa mémoire."

Sur scène, le lien énergétique entre les deux interprètes est tangible, et leur maturité (il a 70 ans, elle en a 54) donne à voir la plénitude d’une danse aussi vibrante qu’elle est épurée. Il est un âge où les attentes comme les résistances cèdent sous le poids des années pour révéler le coeur des êtres. "L’âge apporte une dimension plus humaine à ma danse, confie la chorégraphe. Depuis cinq ou six ans, j’arrive à être juste là et à laisser être ce qui est sans vouloir tendre vers quelque chose. D’ailleurs, même si le travail de Yoshito est lié au butô, c’est important pour moi de sortir des catégories et de dire que je fais de la danse tout court, au sens large du terme. C’est une expression de l’être par le mouvement." Un art du lâcher-prise et de l’incarnation.