Martin Genest : La chute du tombeur
Martin Genest désirait que sa mise en scène de La Nuit de Valognes d’Eric-Emmanuel Schmitt aille dans le sens du travail de l’auteur. Il a donc descendu Don Juan de son piédestal.
On connaît l’écriture remarquable d’Eric-Emmanuel Schmitt; son langage élégant, son esprit, ses réflexions philosophiques incarnées, ses intrigues aux rebondissements surprenants. Des éléments qui, comme le constate Martin Genest, caractérisent déjà sa première pièce, La Nuit de Valognes, une relecture du mythe de Don Juan, où cinq de ses victimes ont enfin l’occasion de régler leurs comptes avec le plus grand séducteur de tous les temps. "Il nous parle de la relation homme-femme, des perceptions de l’un par rapport à celles de l’autre, de la différence entre le sexe et l’amour, observe-t-il. En fait, il pousse sa réflexion très loin; pour lui, l’amour n’a pas de sexe."
Le germe des Variations énigmatiques, peut-être? Toujours est-il que le metteur en scène note une parenté, non seulement de style, mais aussi d’esprit, avec d’autres écrits de l’auteur. "Eric-Emmanuel Schmitt dit qu’il a déboulonné des statues", cite-t-il, en donnant l’exemple de Freud dans Le Visiteur et d’Hitler dans La Part de l’autre. "Don Juan est un personnage de théâtre et il a voulu en faire un homme. Or, quoi de mieux pour cela que de le mettre face à la mort?" Ainsi a-t-il eu l’idée de situer l’action dans une manière de no man’s land où le héros doit faire le bilan de sa vie avant de traverser de l’autre côté. En ressortent des choix artistiques propres à rehausser l’aspect intemporel du texte autant que son côté dramatique.
Surtout, sa proposition lui permet de rendre concrètement le passage de l’icône à l’être humain. "Les cinq femmes ont entretenu une image de lui qui est probablement même embellie par rapport à ce qu’il a vraiment été, raconte-t-il. Donc, quand il arrive, il a changé, mais elles ne veulent pas le voir et, tranquillement, elles se rendent compte que ce n’est plus celui qu’elles ont connu." Quant à savoir si l’oeuvre a de quoi faire rire et toucher, voire choquer, il prévient: "La fin peut être risible, décevante, ouvrir sur une réflexion, mener à une fermeture… Il y a six, sept scénarios possibles selon ce que les gens comprennent." Autrement dit, un dénouement moins inoffensif qu’il n’y paraît.