Catherine-Anne Toupin : Les retrouvailles
Blackbird, une pièce de l’Écossais David Harrower, explore les sentiers troubles de l’agression et du consentement. On en discute avec la comédienne Catherine-Anne Toupin.
Le sujet est délicat. À la lecture du synopsis, on croit avoir affaire à une autre de ces pièces coup-de-poing, du théâtre in-yer-face comme celui auquel nous ont habitué les dramaturges anglais des années 90. Mais Blackbird, un texte de l’Écossais David Harrower ici traduit par Étienne Lepage, aborde le thème de la pédophilie de manière souterraine, nuancée, sans violence excessive. "Il nous entraîne plutôt dans les territoires de la psyché, explique Catherine-Anne Toupin. Il s’intéresse aux mécanismes de défense. Ce n’est pas vraiment cru, malgré la rudesse du sujet."
Une femme retrouve l’homme d’âge mûr avec qui elle a eu une relation "amoureuse et sexuelle" quinze ans plus tôt. Elle avait 12 ans à l’époque. Dans les faits, elle a été victime d’une agression sexuelle. Dans la réalité, les choses ne sont pas si simples. "Elle était partiellement consentante, elle a vraiment aimé cet homme. Mais à 12 ans, la notion de consentement s’applique-t-elle vraiment? On ne peut pas répondre à cette question, et l’auteur l’esquive de façon très habile; il ne blâme personne, mais expose des faits qui permettent à chaque spectateur, selon son vécu et ses perceptions, de tirer ses conclusions."
Il y a effectivement de quoi débattre. Mais plus que tout, la rencontre dévoile les trajectoires empruntées après le drame par chacun des personnages, à la manière d’un suspense ou d’un chassé-croisé duquel émergent graduellement des vérités enfouies. Toupin se passionne pour ces personnages, qui se "révèlent au fur et à mesure". "Pendant les années qui les ont séparés, chacun s’est construit une histoire différente. La pièce expose la manière dont on raisonne un événement, et les choix de vie qu’on fait pour y survivre. Dans ce processus, on peut oublier ce qui s’est réellement passé. En se rencontrant quinze ans plus tard, l’homme et la femme s’aperçoivent qu’ils ont vécu dans un leurre."
La confrontation sera tendue, pleine de silences et de non-dits. Harrower écrit dans une langue hachurée et elliptique, témoignant des incertitudes de ses personnages. La comédienne, qui est également auteure, s’y reconnaît particulièrement. "Le dialogue donne une illusion de réalisme, par le biais d’une partition très musicale. Il y a beaucoup de rythme, puis des pauses franches. C’est un type de langue qui me plaît beaucoup et que d’ailleurs je travaille dans mes propres textes."
Mais avec le Groupe de la Veillée et le metteur en scène Téo Spychalski, cette langue est abordée tout autrement que ne le fait par exemple Frédéric Blanchette, metteur en scène attitré des textes de Toupin. "Son approche du rythme ne passe pas par la rapidité et la superposition de répliques, comme c’est souvent le cas avec ce genre de texte. Il veut faire résonner chaque mot et le faire pénétrer chez l’acteur. Ça donne un autre type de musicalité." Pour elle, c’est aussi l’occasion de partager la scène avec Gabriel Arcand, "un acteur monstre, incroyablement groundé et très rigoureux. La rencontre est vraiment stimulante."