José Navas : État de grâce
Scène

José Navas : État de grâce

Comment diable peut-on réussir, à partir de planches d’anatomie, à créer une pièce qui va droit au coeur? Seul José Navas le sait, et Dieu s’en doute…

Un des chorégraphes favoris des Québécois, le Vénézuélien et fleurdelisé d’adoption José Navas, s’amène enfin dans la capitale pour présenter ses Anatomies, pièce pour cinq danseurs qui a été chaleureusement applaudie à Montréal et un peu partout en Europe.

Dépouillée au maximum, sans décor ni autre costume qu’un slip blanc, et sans musique – sauf celle élaborée à partir des voix des danseurs par le compositeur Alexander MacSween -, Anatomies aurait pu facilement verser dans l’austérité. S’étant inspiré de planches d’anatomie et de photos tirées de la controversée exposition Body Worlds, Navas a effectué un minutieux travail formel. "J’ai placé toutes ces images dans le studio et on a commencé à construire des mouvements qui ressemblaient aux positions des corps. Puis j’ai construit cinq phrases et essayé différentes combinaisons."

"J’ai voulu retourner à l’essentiel, au corps nu en mouvement dans l’espace, continue le chorégraphe. C’était comme demander à un chanteur d’utiliser sa voix sans orchestre, sans instrument, sans paroles… Est-ce qu’on peut quand même réussir à toucher le coeur des gens?"

Plusieurs ont qualifié la pièce de "rupture" dans son travail; l’artiste voit plutôt le tout comme une évolution. "Je crois seulement qu’avec le temps, je me suis donné la permission de faire la pièce que j’aimerais voir à 100 %. J’ai dit aux autres: "Je veux faire une pièce qui possiblement ne fonctionnera pas, mais je pense que ça va fonctionner pour nous"", raconte le créateur de 44 ans et fondateur de la Compagnie Flak.

Et ça marche! D’autant plus que Navas s’est permis, avec sa nouvelle équipe de danseurs, de réviser et de simplifier certains passages. "Cette version est plus forte. On l’a jouée récemment en Europe et la réaction du public a été très vive: les gens pleuraient et étaient très touchés parce que ça leur faisait penser à la mort, au passage du temps."

Cette spiritualité qui transcende l’oeuvre, le chorégraphe l’attribue humblement à ce qu’il nomme "méditation en mouvement". "Avant et pendant le spectacle, on essaie de devenir des interprètes avec un grand silence intérieur. J’ai beaucoup observé les gens qui pratiquent le tai-chi; c’est ce niveau de concentration qu’on essaie d’atteindre", dit celui qui avoue faire du yoga avec ses danseurs avant les représentations.

Et, par magie, l’anonymat de la planche d’anatomie prend vie, "comme si le corps, la peau de chaque interprète raconte en même temps une histoire très personnelle", conclut Navas. Et qu’ainsi dépouillé de ses apparats, le corps devient porté par la grâce.