Rage : Ultime combat
Dans Rage de Michele Riml, un adolescent dégourdi prend la travailleuse sociale de son école en otage. De sa bouche à canon s’échappe la colère d’une société en mal de repères…
Le ring: un bureau au sous-sol d’une école secondaire. Dans le coin droit: Raymond, alias Rage (Victor Andrés Trelles Turgeon), un brillant adolescent sur le point d’être expulsé de son école à la suite de la présentation d’un exposé irrecevable sur Hitler, où il fait l’éloge de la violence comme moteur de changement. Dans le coin gauche: Laura (Nathaly Charrette), une conseillère en orientation qui défie son adversaire au moyen de ses idéaux pacifistes à la Gandhi. Le combat fait rage jusqu’à ce que l’assaillant perturbé sorte une arme… Le duel vient de prendre une tout autre tournure. Le sang se fige dans les veines. Les adversaires sont maintenant à forces inégales…
La lecture de cette pièce de la Vancouvéroise Michele Riml (traduite par Sarah Migneron) a été suivie d’une nuit sans sommeil pour le metteur en scène Joël Beddows. Le directeur artistique du Théâtre la Catapulte, aussi professeur au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa, a été dès lors hanté par les questions que soulèvent le texte: Comment se fait-il que des armes à feu pénètrent dans des institutions vouées au savoir? Les écoles auraient-elles une part de responsabilité, en raison de leur mode de fonctionnement et de leur structure, dans le comportement violent de certains élèves?
En guise de réponses à ces interrogations, l’auteure nous envoie droit dans un cul-de-sac; les deux personnages détenant, chacun à leur manière, une vérité. "La pièce dénonce l’absence de réflexion, de pensées complexes dans nos écoles en présentant un échange entre deux protagonistes intransigeants. Les deux idéologies sont oppositionnelles et dogmatiques, ce qui crée l’impasse", relève le metteur en scène.
"Laura et Raymond ne font pas la sourde oreille, toutefois, tient à préciser la comédienne Nathaly Charrette, qui incarne Laura. Au contraire, ils font un très grand cheminement en peu de temps, devant une situation extrême."
Le mur
Dans l’arène, la violence n’éclate qu’en cours de route, après un long débat musclé. "Au fond, Rage s’est choisi un adversaire de taille en Laura, explique Joël Beddows. Depuis le début, il a prévu être envoyé dans son bureau parce qu’il sait que c’est la meilleure prof, que c’est une personne morale, exigeante. C’est Gandhi versus Hitler comme outil, comme moyen de changement social." La comédienne ajoute: "La violence augmente progressivement puisque avec l’arme entre eux, ils font face à un mur. Rage veut tester Laura pour voir jusqu’où elle est prête à aller pour ses convictions. Il n’est pas juste un gars enragé, c’est un jeune homme très articulé qui arrive avec une pensée, si bien qu’on se surprend à prendre autant pour l’un que pour l’autre. Ce n’est pas noir ou blanc."
Soupesant chaque détail de la production, Joël Beddows, qui ne voulait garder de rouge que le titre, s’est fait déjouer par sa costumière. "Le personnage de Laura porte le rouge parce que dans la culture indienne, c’est une couleur de paix, contrairement à notre interprétation. Le sens de son costume change au fur et à mesure que la pièce avance puisque Laura découvre en elle une rage insoupçonnée… Au fond, la pièce aborde le refoulement de la violence… et à quel point il est utopique et ridicule de vouloir la freiner. Il faut composer, réfléchir avec elle, car elle ne cessera jamais d’exister. La tolérance zéro de la violence dans les écoles, c’est d’un illogisme total. C’est tellement pas raisonnable, irréfléchi. C’est une solution diachylon", renchérit le metteur en scène, qui s’est pour la première fois occupé de la scénographie, secondé par Lynn Cox (aussi aux éclairages). Il suggère un lieu aseptisé, froid, blanc et brutalement éclairé aux néons, qui s’inspire autant de bunkers allemands nichés sur les plages de Bretagne ou de Normandie que d’établissements scolaires qu’il a visités.
En plus de la double symbolique de la couleur rouge, la pièce compte un autre détournement: si le Rage du titre peut paraître un emprunt au prénom du personnage masculin, il apparaît que l’explosion évoquée serait plutôt celle de Laura. "C’est l’histoire d’une pacifiste. De toute la rage qu’elle peut contenir, et qu’elle refusait jusqu’alors de reconnaître", note Nathaly Charrette.
Récompensé à maintes reprises pour ses productions (Le Testament du couturier, La Société de Métis), mais aussi récipiendaire d’un prix John-Hirsch (2006) et, tout récemment, du prix Rideau metteur en scène par excellence, Joël Beddows voit en cette production sa mise en scène la plus populaire, mais aussi la plus engageante. "Je dirais "populaire" dans le sens noble du terme, puisque ça touche tout le monde. Je dirais que c’est aussi le spectacle le plus percutant, puisque les enjeux tragiques sont de la même proportion que ceux du Cid ou de Phèdre: c’est toute la société qui est en procès. On est interpellé si on a des enfants, si on a le moindre sens de la responsabilité envers les générations à venir et envers notre avenir…" conclut-il.
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