Le Dragon bleu : Au bout du monde
Scène

Le Dragon bleu : Au bout du monde

Avec Le Dragon bleu, Robert Lepage éblouit sans transporter. Cette fois, malheureusement, la petite et la grande histoire ne marchent pas main dans la main.

Avec Le Projet Andersen et La Face cachée de la lune, des spectacles dont l’ampleur s’apparente à celle du Dragon bleu, mais aussi avec La Trilogie des dragons et Les Sept Branches de la rivière Ota, Robert Lepage était parvenu à faire ce qui est en quelque sorte devenu sa marque de commerce: greffer la petite histoire sur la grande, relier le destin des hommes à celui de l’humanité, les déboires d’un personnage qui lui ressemble, qui nous ressemble, à ceux de toute une société, qu’elle soit québécoise, française ou japonaise. Cette fois, ce n’est pas le cas.

Visuellement, faut-il le préciser, le spectacle est d’une grande beauté, truffé de motifs récurrents et d’images saisissantes. Certains diront que les motifs sont trop récurrents et que les images tablent sur des méthodes éprouvées. On ne saurait leur donner tort. Mais c’est dans la trame narrative que ça coince vraiment. Malgré les efforts des créateurs, les bouleversements ressentis par la Chine contemporaine ne font jamais écho à la quête identitaire de Pierre Lamontagne (Lepage), artiste et galeriste québécois installé à Shanghai, pas plus qu’à celle de Claire Forêt (Marie Michaud), publicitaire blasée et alcoolique venue en Chine s’acheter un enfant, ou à celle de Xiao Ling (Tai Wei Foo), jeune artiste dont l’épanouissement est réprimé par un État qui, au nom du développement économique, broie tout sur son passage. En entrelaçant ces trois destins, Lepage verse plus qu’il ne l’a jamais fait dans le mélodrame. L’enfant est un boulet pour l’Orientale, le rêve d’une vie meilleure, plus équilibrée, pour l’Occidentale. Vous avez dit cliché? On cherche clairement, trop peut-être, à nous tirer des larmes.

Bien entendu, on goûte aux déchirements qu’expérimentent actuellement les Chinois, pris entre le passé et le présent, la tradition et la modernité, le communisme et le capitalisme. Mais, alors que le paradoxe chinois devrait remettre en question le mode de vie nord-américain, le spectacle n’ose s’engager sur cette voie. Il y a bien quelques piques envers le statu quo qui nous caractérise – après tout, même nos révolutions sont tranquilles -, mais le drame demeure intime, jamais collectif, et c’est ce qui mine le spectacle, nous empêche d’y communier réellement.