Mats Ek : Conte pour adultes
Le Suédois Mats Ek offre une version très contemporaine de La Belle au bois dormant aux Grands Ballets canadiens de Montréal. Une oeuvre pour 20 danseurs dans un univers aux antipodes de Disney.
Fils d’un acteur et de la chorégraphe qui a fondé le Ballet Cullberg en 1967, Mats Ek a attendu l’âge de 28 ans pour céder aux pressions de sa mère et choisir la danse au détriment du théâtre. Trente-six ans plus tard, il compte quelques chefs-d’oeuvre parmi la trentaine de créations à son actif. Originales, parfois étranges, ses oeuvres se caractérisent par une gestuelle ample inspirée de la danse moderne, une grande expressivité et une forte intensité dramatique. Le duo Solo for two, que les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) ont déjà à leur répertoire, en est un magnifique exemple.
"Je ne crée jamais rien de totalement abstrait parce que je n’ai pas de grand talent pour cela, nous confie-t-il à son arrivée à Montréal. Même quand je ne cherche pas à raconter des histoires, elles émergent des situations, des relations entre les danseurs. Que ce soient des situations absurdes, surréalistes ou oniriques, j’ai besoin d’une sorte de ligne narratrice pour être intéressé."
Quand il s’aventure clairement à raconter des histoires, Ek plonge dans une relecture à orientation psychanalytique de grands ballets classiques. En plus d’avoir placé Giselle en asile psychiatrique et d’avoir étudié la relation oedipienne entre le prince et sa mère dans Le Lac des cygnes, il s’est attaqué au Sacre du printemps et à Carmen. Dans La Belle au bois dormant, créée en 1996 pour le Ballet de Hambourg et dansée à Montréal par le Ballet Cullberg en 2001, il symbolise la difficile période de l’adolescence en faisant d’Aurore une jeune fille négligée par ses parents qui sombre dans la drogue au contact de Carabosse, devenu homme pour l’occasion. Quant au prince, transformé en dealer, il n’a rien de charmant.
"J’avais envie de reprendre ce conte parce que c’est l’un des plus connus ayant une bonne musique, mais ça m’a pris plusieurs années pour me décider, commente le sexagénaire. Quand j’avais su que Tchaïkovski avait écrit la musique en hommage au tsar, ça m’avait ôté l’envie de traiter du sujet. Elle m’est revenue en Suisse: un matin, sur le chemin entre mon hôtel et le théâtre, j’ai croisé une jeune femme droguée qui mendiait. Je me suis dit: "Elle s’est fait piquer et elle est endormie." J’avais trouvé ma nouvelle entrée dans l’histoire."
Du ballet créé par Marius Petipa en 1890, Ek ne retient que la piqûre, le sommeil et les fées, auxquelles il attribue un rôle beaucoup plus important que dans le conte de Perrault. Pour le reste, les 13 différents personnages sont démultipliés. "Il peut y avoir jusqu’à quatre ou cinq danseurs pour incarner un personnage et il arrive qu’ils soient tous sur scène, explique le chorégraphe. C’est une façon de renforcer des moments importants, comme une aria à l’opéra."
Le vocabulaire de cette troisième pièce du Suédois à entrer au répertoire des GBCM est d’inspiration plus classique que les précédentes. " Elle n’a rien d’un ballet classique, précise-t-il cependant. Mais au fond, je me fous qu’elle soit classique ou moderne, dès lors que cela sert mon propos."
Consultez la page des Grands Ballets canadiens de Montréal au www.voir.ca/grandsballets.