Blackbird : Oiseaux de proie
Scène

Blackbird : Oiseaux de proie

Avec Blackbird, une pièce de l’Écossais David Harrower mise en scène par Téo Spychalski, le Groupe de la Veillée clôt la saison du Prospero avec poigne.

Après s’être frotté de manière plus ou moins heureuse au théâtre de Per Olov Enquist et Henning Mankell, le Groupe de la Veillée trouve enfin un texte contemporain à son pied. Et quelle trouvaille! N’ayons pas peur des mots, le Blackbird de David Harrower bouleverse. Pour donner une idée du ton, disons que le drame psychologique de l’écrivain écossais, audacieux déboulonnement de nos idées préconçues sur l’abus sexuel, réaliste dans le meilleur sens du terme, aurait tout aussi bien pu être monté à La Licorne.

Entre Una et Rey, 15 ans après "le délit", les retrouvailles sont émouvantes sans être mélodramatiques, implacables, mais surtout éminemment troublantes. La question de l’abus, aussi délicate soit-elle, est abordée de front, avec toutes les contradictions qu’elle implique, toutes les demi-teintes qu’elle comporte. On sort de la salle avec des questions à revendre, des doutes plein les poches, des angoisses à foison. Si vous voulez départager le bien du mal, le vrai du faux, l’humain de l’inhumain, n’y allez pas! Harrower ne donne pas dans ce genre de théâtre manichéen si rassurant, si confortant.

Pour endosser cette partition pleine de non-dits, de circonvolutions et de phrases laissées en plan, d’ailleurs fort bien traduite par Étienne Lepage, tout juste diplômé de l’École nationale, Téo Spychalski a fait appel à Gabriel Arcand, son vieux complice, et Catherine-Anne Toupin, qui joue pour la première fois à La Veillée. Disons-le sans ambages: la rencontre est déterminante, de celles auxquelles on assiste en se disant qu’on est privilégié d’y être. Les acteurs mordent dans la partition avec conviction et dosage, donnant à chaque mot sa juste mesure, sa pleine résonance.

Sous nos yeux, entre les murs d’une minable cafétéria d’usine, un homme dans la cinquantaine et une femme dans la vingtaine se livrent à un terrible règlement de compte. La haine, l’amour, la culpabilité, le désir, les regrets, les imprécations, le présent et le passé, tout cela s’entrelace sous nos yeux avec maestria. Gageons que ce Blackbird supportera très bien d’être comparé à celui du Théâtre des Célestins de Lyon, en visite au TNM en septembre prochain.

À voir si vous aimez /
La Poupée de Pélopia et Des yeux de verre de Michel Marc Bouchard, Lolita de Vladimir Nabokov