Sasha Waltz : À corps ouvert
Scène

Sasha Waltz : À corps ouvert

L’Allemande Sasha Waltz nous honore d’une toute première visite avec Körper. Pièce pour 13 danseurs exposant avec force le corps anatomique, elle s’annonce comme un des temps forts du Festival TransAmériques. On en discute avec deux de ses danseurs, Luc Dunberry et Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola.

On la dit héritière de Pina Bausch parce qu’elle crée des oeuvres théâtrales à caractère social et que ses interprètes-créateurs sont sa matière première. Mais ce qui caractérise le mieux le travail de Sasha Waltz, figure majeure de la danse en Allemagne, c’est sa diversité.

"Elle n’a pas de style vraiment reconnaissable, chacune de ses pièces est un renouveau créatif, assure le Québécois Luc Dunberry qui danse pour elle depuis maintenant 13 ans. Chaque chorégraphie est un nouveau défi qui commence par une recherche complètement ouverte en amont de la création." "Il y a vraiment un univers, un langage et un vocabulaire spécifiques à chaque pièce, confirme Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola qui a aussi intégré la compagnie trois ans après sa fondation. On avance toujours dans l’inconnu en partant d’un point de départ où l’on ne se sent pas à l’aise et où l’on devient vulnérable."

Pour Körper, qui signifie "corps" en allemand, le défi a tout bonnement été de passer d’une démarche théâtrale avec des personnages très définis à une oeuvre abstraite qui porte tout de même une forte charge émotionnelle. La thématique du corps s’est dégagée à l’occasion d’une recherche de six semaines au Musée juif de Berlin qui a inspiré l’oeuvre tant par son contenu historique que par son espace architectural. Réalisant que le corps était un projet trop ambitieux pour une seule oeuvre, Waltz a vite choisi de l’explorer dans une trilogie. Créée en 2000, Körper traitait d’abord du corps en tant que matière. La même année, la chorégraphe abordait la sensualité et les sentiments dans S avant de relier le corps à la mort et à la spiritualité en 2002 dans noBody.

"Ce premier volet parle de ce dont on est fait (le squelette, les muscles, les liquides, le système nerveux…) et place le corps en dialogue avec l’architecture", explique Kruz. "Quand nous avons créé la pièce à la Schaubühne de Berlin, qui est un immense espace semi-circulaire avec des portes à plusieurs niveaux, l’échelle du corps est devenue comme un étalon de mesure pour l’espace architectural", ajoute Dunberry.

La vitrine dans laquelle s’entassent les corps à demi nus au début du spectacle est un rappel du musée, tout comme le grand mur noir qui divise la scène. Mais si certains éléments du spectacle rendent possible une lecture historique, le seul message clair s’exprime dans une scène où sont listés les prix des organes sur le marché de la chirurgie. "Dans notre société, il est facile d’avoir accès au corps si on veut le changer, commente Kruz. Il y a toutes sortes de façons de le manipuler, et de le transformer si on ne l’aime pas."

Abstraite en grande majorité, parfois aussi surréaliste, la pièce multiplie les approches chorégraphiques et scénographiques pour révéler le corps anatomique sous des facettes parfois inattendues. Généreuse et foisonnante, elle plonge le spectateur dans les atmosphères prégnantes d’un univers noir et peau où chacun pourra voir, à un moment ou l’autre, le reflet de son humanité. Une oeuvre essentielle dont on ne saurait se priver.