Jan Fabre : Réveiller les consciences
Jan Fabre vient bousculer notre tranquillité avec neuf danseurs-acteurs bouillonnants dans L’Orgie de la tolérance. Sans doute le spectacle le plus provocateur du Festival TransAmériques.
Formé aux Beaux-Arts à Anvers, Jan Fabre s’est illustré dans les années 70 dans des performances théâtrales à caractère provocateur où le corps était largement impliqué. Qualifié d’enfant terrible de la nouvelle vague flamande dans les années 80, il dessine avec son sang ou avec les cendres de billets brûlés sur scène, n’hésitant pas à proposer des oeuvres de très longue durée. Plasticien, dramaturge, metteur en scène, cinéaste, chorégraphe et scénographe, il s’est imposé sur la scène internationale de la création multidisciplinaire mais n’a présenté son travail qu’une fois à Montréal. Le FTA nous donne la chance d’apprécier sa nouvelle création avant qu’elle ne soit présentée en Avignon.
"Je vis dans la partie flamande de la Belgique et l’extrême droite se manifeste tellement que nous l’acceptons comme la normalité. C’est pour moi une orgie de tolérance, explique-t-il pour évoquer l’origine de sa pièce. Il y a aussi le fait que tout, dans la société, est basé sur le consumérisme. Face à la crise, les présidents ne nous disent qu’une chose: »Achetez! Continuez à acheter! Cela va résoudre le problème. » C’est l’extase du consumérisme basé sur l’extase d’orgasmes simulés dans le sens sexuel, social et politique. Quand Barack Obama dit »Yes, we can », ça sonne comme »Yes, we come ». On pense que n’importe qui peut venir 10 fois par jour. Je pense que c’est une dangereuse tolérance que d’accepter cela."
Face à ce constat, Fabre n’y va pas avec le dos de la cuillère pour réveiller les consciences. Masturbation collective, insultes au public, violences verbales et physiques, vulgarités en tout genre… Le tout sur fond de musique pop et enrobé d’un humour désopilant qui aide à faire passer la pastille. Résultat: alors qu’il s’attendait à susciter la controverse, le public ovationne et les critiques applaudissent, tout en soulignant la fragilité de la ligne entre cette dénonciation par l’exemple et le renforcement possible de ce qui est dénoncé.
"J’ai voulu rendre un petit hommage aux humoristes des Monty Python parce que je trouve que ce sont de brillants artistes et qu’ils sont très politiques dans leurs sketchs sans être moralistes, commente le créateur de 51 ans. Nous avons beaucoup travaillé sur leurs sketchs. Et puis il y a aussi l’ironie flamande, qui est quelque chose de naturel et qu’on retrouve chez des artistes comme Félicien Rops ou Rubens, qui a une manière très ironique et très intelligente de peindre les pauvres et les riches, par exemple."
Fabre a mûri son idée pendant deux ans avant d’amorcer le processus de création qui a duré trois mois. Avant d’aborder le travail d’improvisation et de répétition, il donnait un atelier de comédie à ses danseurs-acteurs qui avaient déjà dans le corps une séance de yoga, un cours de danse classique et un temps de candle training, technique utilisée dans les arts martiaux chinois pour accroître la concentration. Ils ont travaillé quelque 12 heures par jour pour créer cette oeuvre à dominante théâtrale où la danse apporte une note positive en libérant les êtres dans une scène finale aux allures de fête.