Yves Hunstad / Eve Bonfanti : Le personnage et son double
Yves Hunstad et Eve Bonfanti reviennent à Québec avec deux spectacles, dont la magnifique Tragédie comique, qui avait ravi le public lors du premier Carrefour.
Créée à Bruxelles en 1988, La Tragédie comique laisse un souvenir ébloui et ému à quiconque a eu le bonheur d’y assister. Dans ce spectacle écrit par le duo belge et mis en scène par Eve Bonfanti, Yves Hunstad, seul en scène, incarne un personnage et son acteur. L’un, sûr de lui, espiègle, ravi qu’arrive celui qu’il attendait, patientant dans les "limbes" du théâtre, et qui l’incarnera enfin; l’autre, "son" acteur, angoissé, inquiet, seul à affronter son trac, la salle, ses incertitudes. À travers ces deux personnages se joue un prodigieux aller-retour entre fiction et réalité, entre théâtre et vie.
Vingt ans après la création et trois spectacles plus tard, reprise de ce bijou – plaisir inespéré! -, et invitation par le Carrefour à le présenter à cette 10e édition, placée sous le signe des retrouvailles. "On a écrit, après, deux autres spectacles (Du vent… des fantômes, Au bord de l’eau) qui, avec La Tragédie comique, forment une espèce de trilogie sur les mécanismes du théâtre, explique Yves Hunstad. On reprend cette pièce parce que, parfois, on a envie de s’installer dans un théâtre et, dans le cadre de certains événements, de pouvoir rejouer le spectacle accolé aux autres, pour que le public puisse avoir l’histoire d’une écriture d’une vingtaine d’années."
La Tragédie comique, malgré ses 20 ans, n’a pas changé d’une ligne. "On a repris fidèlement le texte, la situation, et le spectacle est revenu naturellement: il est vraiment le même." Après plus de 500 représentations, son aspect naturel, spontané, qui charmait autant que sa poésie et son humour, reste également intact. "Cet aspect est à la base de notre rapport au théâtre; dans tous les spectacles, c’est ça. On ne ressent pas l’angoisse de pouvoir recréer quelque chose de vivant; le fait de pouvoir recréer le spectacle comme si c’était la première fois, c’est inscrit dans l’écriture."
Cette apparente spontanéité tient, semble-t-il, à la méthode de travail de leur compagnie, La Fabrique imaginaire. "On travaille toujours plus ou moins de la même façon. On ne part pas d’improvisations en lieu fermé, mais de petites expériences qu’on fait du spectacle en public. Par exemple, on ne joue que 20 minutes, dans des situations particulières, et on invite les gens à boire un verre après: on parle avec eux de leurs sensations, de ce que nous on a ressenti, et tout. On se base beaucoup, pour l’écriture, sur ces rencontres avec le public: le public est un partenaire à la création. On travaille rarement deux mois dans un lieu, entre nous, à fabriquer quelque chose qui devrait soi-disant marcher devant le public. Plus on avance et plus, évidemment, le spectacle est construit, mais on continue ce travail-là pendant trois à quatre ans, pour arriver à une écriture qui engendre le naturel du jeu, d’une part, et qui engendre le rapport au public. Quand on considère que le spectacle est fixé, comme La Tragédie comique, on n’y change pas un mot." Nul besoin, en effet: La Tragédie comique est une merveille, à ne pas manquer.