Benoît Lachambre : La turbulence des fluides
Benoît Lachambre se joint à la Vancouvéroise Su-Feh Lee pour creuser sa recherche sur le corps énergétique dans Body-Scan. Une oeuvre pour six performeurs que l’on est invité à apprécier avec le corps plutôt qu’avec la tête.
Faire qu’un spectacle dépasse l’expérience visuelle, émotionnelle et esthétique pour devenir une aventure kinesthésique et sensorielle est un défi que peu de chorégraphes osent se donner et que Benoît Lachambre relève avec brio. En 2007, son Lugares Comunes avait agi physiquement sur certains spectateurs qui étaient entrés en totale résonance avec les corps sur scène et qui étaient ressortis de l’Usine C transformés et comblés. Pour d’autres, la soirée avait été longue et ennuyante. C’est que, dans cette pièce comme dans Body-Scan, le chorégraphe québécois n’offre pas une danse à appréhender selon les codes habituels du spectacle. Il invite les spectateurs autant que les performeurs à ressentir ce qui se passe dans leur environnement et à l’intérieur d’eux-mêmes.
"Chaque projet me permet de redéfinir le mouvement dansé et la nécessité de bouger, commente-t-il. Dans celui-là, on met l’accent sur les processus de perception et la façon dont on établit l’équilibre et le dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, comme personne qui regarde et comme personne qui bouge aussi. On travaille beaucoup sur le qi gong, le corps énergétique et la respiration en accord avec les fluides corporels. C’est comme une symbiose des sens et des mouvements des fluides du corps dans une dynamique où l’on perçoit l’espace comme un corps fluide."
Si cette démarche peut trouver un écho favorable chez les personnes auxquelles les approches qui développent la conscience corporelle sont familières, elle peut sembler ésotérique à bien des gens. C’est pourquoi les artistes ouvrent le spectacle avec des explications pour donner quelques clefs au public. "Des gens trouvent que c’est un peu didactique, mais après, ils comprennent le pourquoi de cette approche, explique Lachambre en riant. On leur donne un éclairage sur une petite partie de ce sur quoi on travaille, car cela va très, très loin." Loin dans les méandres de la biologie humaine.
Réputé pour ses ateliers sur l’éveil des sens, le chorégraphe entraîne ses collaborateurs dans l’exploration fine des mouvements de la vie. Ainsi, les structures chorégraphiques sont établies, mais les actions des performeurs sont dirigées par leur respiration, la circulation des fluides en eux, la dispersion du poids et de l’énergie dans leur corps, l’ouverture et la mobilité de leurs articulations, leurs perceptions cutanées… et par les influences de leur imaginaire et de l’environnement. L’observation sensible de l’autre est complétée par le toucher, qui permet à chacun un ajustement subtil et permanent pour se mouvoir en harmonie. C’est d’ailleurs parce qu’il était fasciné par le travail de transmission énergétique de la chorégraphe-performeuse Su-Feh Lee qu’il a voulu travailler avec elle.
Accompagnés sur scène par les excellents Antonija Livingstone, Yannick Matthon, Moravia Naranjo et Stephen Thompson, les deux créateurs ont invité le photographe Robert Flynt à donner, en parallèle à leur performance, sa propre vision des transformations subtiles du corps dans le temps. Body-Scan est une invitation à la découverte, un joli risque à prendre.