Francis Monty et Mathieu Gosselin : Maîtres de cérémonie
Avec Gestes impies, le Théâtre de la Pire Espèce offre aux spectateurs du Festival TransAmériques une nouvelle esthétique, à cheval entre théâtre d’objets et théâtre de l’image. Francis Monty et Mathieu Gosselin expliquent.
On les sent fébriles, et certainement un peu inquiets de l’accueil que leur spectacle recevra. C’est que Francis Monty et Mathieu Gosselin s’attaquent pour la première fois à un grand plateau, avec un spectacle beaucoup moins narratif que ce à quoi ils nous ont habitués et une équipe de sept acteurs (Gosselin y sera, avec Marcelle Hudon, Marc Mauduit, Denys Lefebvre, Anne-Marie Levasseur, Céline Brassard et Alexandre Leroux). Ils n’en ont pas terminé avec les spectacles intimistes qui ont fait leur renommée ici comme ailleurs, mêlant habilement théâtre d’objets, mythologie, humour et ludisme, mais voilà, ils rêvaient depuis longtemps de créer pour une grande scène et de travailler les objets, ou la matière, dans une nouvelle perspective. D’interroger plus largement le corps aussi, et l’espace.
Quel genre d’objet théâtral est donc Gestes impies (et rites sacrés, cérémonie baroque en plusieurs tableaux)? "Une sorte de cabaret étrange, dit Monty, dans un univers autre, où le sens de la vie s’est perdu. C’est un peu circassien, mais aussi très onirique. Tranquillement, le spectacle bascule dans un récit, qui se tisse à travers les actions des différents personnages, par accumulation." "Ça passe aussi par une série d’interactions entre les personnages et la matière, ajoute Gosselin. C’est très cérémoniel. On a essayé de sacraliser les matériaux, et les personnages vont entrer en contact avec ces objets sacrés. La matière, des prothèses de papier, et du carton la plupart du temps, les transforme."
Difficile à cerner, ce spectacle, semble-t-il. De ceux qui échappent à la description et évoquent plusieurs mondes à la fois. Mais en son centre, il y a une réflexion sur l’absence de rites collectifs, de cérémonies signifiantes dans nos sociétés. Au départ, les deux créateurs s’interrogeaient sur la place de la parole dans l’espace public. "Je trouve que la parole n’a plus d’importance, dit Monty. On n’écoute plus les artistes ou les intellectuels nous parler à la radio, il n’y a jamais d’entrevues de fond. C’est la dimension sacrée de la parole qui se perd, les dépositaires de la parole n’ont plus droit de cité." Son collègue opine de la tête et ajoute qu’"il y a aussi un effritement de la prise de parole collective. On a de la difficulté à se rallier à un discours commun, au profit d’opinions personnelles pas toujours bien défendues." Le spectacle témoignera-t-il fidèlement de cette inspiration de base? Ils n’en savent rien, trop collés à leur travail, mais la recherche de sacré est bel et bien fondamentale dans leur projet.
Si la rencontre entre le vivant et l’inanimé comme métaphore de la quête de sens est au centre des explorations formelles auxquelles ils s’attachent, ils ont aussi voulu travailler le corps différemment. "On voulait éviter les corps trop quotidiens, on a donc demandé au chorégraphe Frédérick Gravel de nous conseiller. Il y a aussi un aspect sacré à la danse, qui relève de la tribu, du primitif, de la transe, du rite de passage. Ça nous allume beaucoup." C’est un rendez-vous.