Sylvie Guillem : Chevalier servant
L’une des pièces de résistance du Festival TransAmériques, Éonnagata, réunit trois monstres sacrés des arts de la scène: le metteur en scène Robert Lepage, le chorégraphe Russell Maliphant et la danseuse Sylvie Guillem, qui nous parle de cette expérience multidisciplinaire.
Il s’agit sans doute du spectacle le plus attendu de toute la programmation du FTA. D’abord, parce qu’il est toujours délicieux de goûter à la magie de Robert Lepage. Ensuite, parce que deux autres bêtes de scène l’accompagnent dans cette nouvelle aventure: le chorégraphe britannique d’origine canadienne Russell Maliphant et la danseuse française Sylvie Guillem, qui vivent tous deux à Londres et signent là leur troisième collaboration.
"Russell parle avec des gestes simples mais ses phrases chorégraphiques sont toujours inattendues", affirme l’ex-étoile de l’Opéra de Paris pour qualifier le travail de celui qui nous a déjà séduits plus d’une fois. "Il fonctionne aussi énormément avec le contraste: il a une sorte de poésie dans ce qu’il fait et en même temps, c’est quelque chose de très, très fort. C’est doux, mais assez structuré et puissant."
C’est aussi sur le contraste entre force et raffinement que cette ex-gymnaste a bâti sa réputation de danseuse et sa carrière fulgurante. Femme de caractère s’illustrant dans les grands classiques et le ballet moderne, elle s’est distinguée tant par son sens dramatique que par sa virtuosité. "L’expérience de la comédie est une des facettes qui m’intéressaient le plus dans la danse classique, reconnaît-elle. J’aimais créer un personnage, lui donner une identité, le rendre logique, le développer, lui donner une consistance et ne pas simplement le danser."
Sa première expérience de voix sur scène, c’est Maurice Béjart qui la lui offre en 1993 dans le solo intitulé Sissi l’impératrice anarchiste. Treize ans plus tard, elle creuse le jeu théâtral avec Akram Khan dans le duo Sacred Monsters. Très admirative de Lepage dont elle ne rate pas un spectacle, elle lui manifeste son désir de travailler avec lui après une représentation du Projet Andersen en Australie. Elle offre ensuite à Maliphant de se joindre à eux.
"On s’est retrouvé en studio tous les trois pour parler de ce qu’on aime ou pas et le thème du Japon est arrivé très vite sur la table, se souvient-elle. Et puis, Robert a parlé du Chevalier d’Éon dont il avait depuis longtemps envie de raconter l’histoire." Né au XVIIIe siècle sous le nom de Charles de Beaumont, ce diplomate joua les espions pour Louis XV, n’hésitant pas à se travestir pour parvenir à ses fins. L’illusion était si parfaite et le doute brouilla si bien les esprits que le roi l’obligea à porter la robe à sa cour.
Empruntant à l’onnagata, technique de théâtre kabuki permettant aux hommes d’incarner des femmes, les artistes illustrent chacun à leur façon les multiples facettes de ce personnage intrigant. Voilà le lien avec le Japon et l’explication du titre de cette pièce narrative, mais beaucoup plus physique que bavarde. "C’est un mélange de genres qui déconcerte un peu mais qui est très touchant", commente Guillem, consciente que l’oeuvre a besoin de mûrir. "C’est une succession de tableaux, une sorte de jeu de Lego qu’on transforme pour donner une histoire plus homogène ou qui a plus de sens, une plus grande dynamique… Il y a des vibrations qui nous disent quoi changer. On se donne l’occasion de les écouter et de réagir."