Joël Pommerat : Travail à la scène
Joël Pommerat signe et met en scène Les Marchands où, à l’exception d’une narratrice, les comédiens jouent leur rôle sans dire un mot. Pièce d’usine.
Depuis sa création il y a trois ans, Les Marchands du Français Joël Pommerat a été présentée à quelque 150 reprises, rejoignant ainsi un large public. Autant dire que l’auteur et metteur en scène a gagné son pari, en faisant en sorte que son parti pris de départ "ne soit pas qu’une idée conceptuelle, mais quelque chose qui tienne jusqu’au bout, sans lassitude". Car il nous offre une pièce exempte de dialogues, où seules l’action des personnages et la narration de l’un d’eux portent le récit.
Ce faisant, il réaffirme sous une forme renouvelée sa vision du théâtre, c’est-à-dire sa conviction "que tout ne se joue pas dans le texte, que c’est la présence humaine qui est essentielle et qu’on doit pouvoir écrire avec elle". À son habitude, donc, il a oeuvré de pair avec les acteurs de même que les différents concepteurs tout au long des répétitions. "On a construit une chorégraphie, résume-t-il. L’histoire tourne autour d’une entreprise, de ses ouvriers, alors il était très important de montrer le travail, non pas simplement d’en parler."
Plus concrètement, on y suit deux amies, dont l’une a la chance d’être employée à l’usine et l’autre non. En découle "la confrontation de ces deux perceptions du bonheur, de la réussite", poursuit-il. La seconde, exclue, commet l’irréparable. "Il s’agit d’une mère criminelle, qui veut faire le bien, mais qui suit une logique complètement pervertie", précise-t-il. On pourrait se croire loin de Mère Courage; pourtant, il observe: "Cette pièce est une fable moderne un peu comme certaines oeuvres de Brecht qui tentent, à travers le destin de leurs personnages, de développer une réflexion sur une question sociale ou politique."
Dans ce cas, on s’intéresse à la place du travail dans la vie des gens. Or, il semble que le constat s’avère brutal, voire empreint d’une "noirceur tragique". "Les personnages vivent des choses assez violentes sur le plan émotionnel, et les spectateurs qui acceptent d’entrer dans la convention sont forcément touchés. C’est une pièce qui secoue; les gens n’en sortent pas guillerets", prévient-il finalement, soucieux d’amortir le choc.