Paul Ahmarani : Butiner de fleur en fleur
Pour inaugurer le tout nouveau Cabaret Mouille-pied à Saint-Lambert, André Montmorency met en scène une comédie de Michel Marc Bouchard, Les Papillons de nuit. Le comédien Paul Ahmarani est de l’aventure.
De l’extérieur, le Cabaret Mouille-pied a toujours l’air de l’ancien bureau de poste de Saint-Lambert. Mais à l’intérieur, marteaux et perceuses s’activent avec fracas autour de ce qui deviendra l’espace réservé aux spectateurs. La scène, elle, est déjà juchée à une extrémité de la salle, et on y découvre le metteur en scène en pleine action, s’affairant à peindre la toile de fond du décor de sa pièce estivale. Une toile peinte, vraiment? Comme au 19e siècle? André Montmorency n’est pas du genre à tout bouleverser sur son passage, il fait du "théâtre à l’ancienne" et l’assume pleinement. "Avec lui, on travaille dans un climat de grande liberté, raconte Paul Ahmarani, il laisse beaucoup de place à ses comédiens, et on a totalement confiance en lui. Après tout, il n’en est pas à sa première comédie du genre."
On ne peut pas en dire autant de l’acteur principal. Si Paul Ahmarani a presque touché à tout, du théâtre au cinéma, en passant par la chanson, c’est la première fois qu’il joue vraiment la comédie. "À part Le Génie du crime de George Walker, une pièce certes comique mais vraiment très sombre, que j’ai jouée il y a 10 ans, et mon rôle à la télé dans La Job (adaptation québécoise de The Office), c’est la première fois que je me frotte à une mécanique comique conventionnelle. Ce travail très précis, c’est un vrai défi, il faut savoir doser, comprendre les limites entre le jeu comique et le cabotinage; c’est très stimulant."
INTELLIGENCE ET RICHESSE DU PROPOS
Pour sa première fois, il n’est pas trop mal tombé, car Michel Marc Bouchard, même si on l’oublie souvent, compte parmi les meilleurs auteurs comiques du Québec. On applaudit plus volontiers son oeuvre proprement dramatique, mais au cours de la décennie 90, il a donné aux théâtres d’été quelques-uns de leurs plus grands succès, des comédies romantiques à l’américaine, néanmoins reconnues pour leur intelligence et la richesse de leur propos. Du lot, on pourrait citer Les Grandes Chaleurs, dont la version cinématographique réalisée par Sophie Lorain est attendue en août sur nos écrans. Les Papillons de nuit est de la même veine, assure Ahmarani, parce qu’"un véritable drame se joue derrière la comédie. Il y a de très beaux moments dramatiques, qui font de beaux contrepoints. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait là une véritable écriture comique, axée sur les quiproquos et malentendus typiques de la comédie, dans un rythme effréné. La pièce s’appuie aussi beaucoup sur le tempérament hystérique des personnages".
Le qualificatif va en tout cas très bien à Bernadette (Josée Beaulieu), une concierge qui digère mal son divorce et se réfugie dans son obsession de la propreté, tout en se désespérant des amours volages de sa fille Carmen (Sophie Stanké), policière névrosée qui accumule les aventures sans lendemain. Réunies pour des vacances à la campagne, elles seront forcées de partager leur chalet avec Ludovic, un entomologiste asocial (Ahmarani) dont l’unique préoccupation est l’étude du papillon lune. Leurs univers s’entrechoquent avec éclats et flammèches, jusqu’à l’arrivée de Jérémie (Roc Lafortune) et Mario (Jocelyn Blanchard), des prisonniers un peu nigauds qui profitent d’une journée de permission pour voler des télévisions. Et tout ce beau monde se livre alors à un étrange ballet amoureux aux multiples rebondissements.
PAPILLON DE NUIT
"C’est une pièce à plusieurs volets, explique l’acteur. D’abord, à travers la confrontation entre Bernadette et Ludovic, Michel Marc explore le thème de la préservation de la nature. Il y a aussi beaucoup de matière à réflexion dans la relation mère-fille, à travers le contrôle que la mère tente d’exercer sur la fille. Et finalement, il s’y développe une relation homosexuelle qui est ici montrée comme normale, banale, présentée sans tambour ni trompette. Un choix audacieux pour une comédie écrite en 1993. En amont de tout ça, il y a la métaphore du papillon de nuit, symbole ultime de la difficulté de l’engagement. Car il y a deux sortes de papillons de nuit: ceux qui réussissent à se caser et meurent après s’être reproduits, et ceux qui, éternellement, se heurtent à la lumière du lampadaire et meurent seuls. Le texte aborde par là la question du cul-de-sac où mène l’éternel butinage d’une personne à l’autre, ou celle de la peur des relations de couple et de la sédentarité." Et tout ça, bien sûr, le sourire aux lèvres.